Les rapprochements sont souvent trop simples. Lorsque Ron Howard se lance dans la production de EdTV, il était facile de le comparer immédiatement au chef-d'œuvre philosophique et métaphorique de Peter Weir The Truman Show. Sauf que non. Puisque, même s'il est garni de défauts non négligeables (une durée excessive, un final en happy-end convenu), le film dont il est question actuellement est en réalité l'exact opposé du métrage avec Jim Carrey.
Venons-en au fait. Là où le Weir recréait un espace réaliste afin de protéger et épanouir son sujet d'expérience, la télévision dans EdTV s'immisce dans le processus quotidien, réel, de l'humain. Les êtres se mécanisent eux-mêmes - à l'exception d'un personnage dont on taira le nom, deviennent eux-mêmes des figures archétypées du medium, au contraire du Truman Show où l'entourage du protagoniste est entouré uniquement d'acteurs. Le monde entier chez Ron Howard devient alors un sujet d'expérience télévisuelle. Cela va donc sans dire que dès les premières minutes, il n'y a plus aucune comparaison possible.
Ajoutez à cela une finesse dans le montage, aidée par une réalisation pensée pour celui-ci, qui permet la transition des scènes à partir de l'amas de pixels retransmis dans les foyers, permettant de relier chaque individu collé à son poste, rendant alors le spectateur filmé lui-même cobaye du show TV. Cela met alors en lumière une connexion à partir d'un simple medium. Tous les personnages du film, actifs ou passifs à l'émission, sont responsables des choix et des actes présentés, laissant Howard s'effacer au profit d'une mise en scène progressivement diégétique - entre les sondages des journaux, les manipulations de True TV, les querelles familiales naissantes dans la famille de Ed, et les réactions "live" de plusieurs téléspectateurs - , mettant en route à elle seule la suite du récit et les futures péripéties. Une idée simple, pas récente, mais complètement géniale et porteuse de sens vis-à-vis de l'impact de l'audience dans le milieu audiovisuel.
Cependant, bien que le film soit complètement ancré dans la fin des "nineties", où il n'était question que de palper le pouls d'une génération montante, dopée à l'illusion que la TV-Réalité fait naître une célébrité sans manipulation de l'espace filmé, il recèle d'une thématique qui ferait frémir la majorité des bien-pensants. Les scénaristes osent, avec une longueur d'avance phénoménale sur leur temps, déclarer qu'il n'existe jamais de mauvaise promotion. Le chauvinisme et la bien-pensance (notamment le plateau avec Michael Moore présent ici) ne sont que les rampes de lancement d'un accroissement de popularité. Plus on en parle, plus la population s'y intéresse. parce que la curiosité rentre en jeu et que rien n'attire l'oeil autant que le bouche-à-oreille. Le cas le plus fort actuellement pourrait être celui de The Last Face, dont les retours ultra-négatifs créent tout de même une publicité pas reluisante, mais en même temps pas inintéressante au film de Sean Penn. L'ignorance et l'indifférence ne sont alors que poussière dans une over-médiatisation envieuse de découvrir des avis et de créer la divergence d'opinion. Si ce constat, somme toutes ironique, s'avère extrêmement ambigu durant tout le long-métrage, il se révèle entièrement dans une séquence finale hautement symbolique et mordante. La morale du film ne prend cependant aucun véritable parti vis-à-vis de l'émission, car même si Howard et ses scénaristes font un pied-de-nez aux âmes choquées, ils montrent les extrêmes débordements d'une société télévisuelle en quête d'excès et de jamais-vu, quitte à détruire une vie entière. C'est avec ce cynisme bienvenu, glacial, et parfois presque schizophrénique au vu du lourd passif télévisuel du réalisateur du film, que chacun est remis à sa place, de la manière la plus acide possible. Et c'est probablement ce qui est le plus intéressant, le plus avant-gardiste et le plus drôle dans ce film qui mérite d'être revu et probablement surévalué. Car telle est votre télé.