La France, pourtant toujours prompte à donner dans le mémoriel, souffre cependant d'une certaine amnésie sélective dès lors que l'on touche à certains aspects de son histoire. Si l'on célèbre chaque année le débarquement en grande pompe (une victoire, ça se fête, non ?), si l'on se lamente sur le massacre d'Oradour-Sur-Glane (car la France a souffert dans sa chair) ou l'on fait jouer les fanfares pour les armistices (pour se rappeler qu'on avait aussi des militaires engagés), certains épisodes un peu moins glorieux semblent comme passés sous silence.
L'exode de huit millions de Français jetés sur les routes suite à l'avancée inexorable des nazis dépeint dans le nouveau film de Christian Carion semble en faire partie. Est-ce parce qu'il est intimement lié à une défaite fulgurante de plus ?
Histoire d'une débâcle racontée à hauteur d'homme, En Mai Fait ce qu'il te Plaît s'inscrit dans la filmographie de son réalisateur comme la continuation de ses oeuvres précédentes, où des petits épisodes intimes s'imbriquent dans le déroulement de la grande Histoire. Prenant sa source dans un petit village du Pas-de-Calais, le film s'intéresse à une communauté dans sa vie quotidienne sous la menace de l'invasion allemande. Invasion qui prendra corps lors d'affrontement en plein coeur d'Arras.
Dès lors, la nécessité de partir devient vitale, afin d'échapper au crépitement des armes. Prendre le strict nécessaire, abandonner le reste derrière soi dans la perspective d'abord inébranlable d'un retour, le convoi se forme : chevaux, carrioles, morceaux de vies en miettes. Il progresse à marche forcée dans un silence étonnant. Le maire du village est à sa tête, taiseux, opiniâtre, résigné. Les autres rôles relèvent parfois aussi de l'archétype, mais ils essaient tous de garder la tête hors de l'eau turbulente de ce qu'ils vivent dans une volonté soumise. La souffrance reste pudique, comme la réalisation de Christian Carion. Elle ne sera montrée que par quelques voitures en travers de la route, les corps allongés sur le ventre. L'institutrice détournera alors l'attention des enfants pour les préserver de la violence.
Mais les remous de l'Histoire ne sont pas tendres. La menace est de tous les instants, sans pour autant être montrée. Ni uniformes, ni armes à l'écran. C'est d'abord un bruit, celui des Stukas. Puis les rafales qui fauchent de manière indistincte. Enfin, les tombes, petites ou plus grandes, et le visage blême d'une petite fille blonde, comme endormie.
En Mai, Fais ce qu'il te Plaît est une marche vers l'inéluctable qui accompagne les panzers qui dépassent le convoi. C'est une équipe de tournage allemande qui oeuvre pour la propagande. C'est aussi les villes traversées où des familles brisées écrivent à la craie la perte de l'être cher et les rendez-vous qui seront certainement manqués. C'est aussi un pillage pour survivre et souligner l'obligation de solidarité. C'est aussi un père à la recherche de son fils dans la tourmente de la fuite. Ni héros, ni salauds, juste une nécessité et une envie d'échapper au pire, une ambivalence de la nature humaine.
Plus d'une fois, Christian Carion réussit à émouvoir, même s'il n'évite pas toujours les coïncidences heureuses. Mais ses personnages, parfois maladroits, sonnent cependant toujours justes dans leurs motivations ou leurs actions, telle cette jeune institutrice aux allures d'adolescente portant la culpabilité de l'abandon d'un de ses enfants. Comme ses personnages, le scénario avance quoi qu'il en coûte, malgré les drames, les séparations et les gens qu'il laisse derrière lui.
Christian Carion, sur une magnifique B.O. de l'inestimable Ennio Morricone, filme l'exode et la souffrance des petites gens anonymes avec pudeur et sobriété. Une souffrance méconnue au sein d'une campagne nordiste pour une fois lumineuse, voyant serpenter un convoi de bric et de broc, en ordre de plus en plus dispersé à mesure que la fin de l'oeuvre s'annonce, marchant vers un horizon incertain en points de suspension... Qui se déroberont pendant cinq ans.
Behind_the_Mask, sur la route.