En présence d’un clown a quelque chose de terriblement humain, peut-être cette fragilité sans cesse rejouée au gré des espaces diurnes et oniriques pour une œuvre minimaliste pourtant testamentaire de son auteur, « un film-somme qui ne pèse pas » pour reprendre les termes si justes de Jean Narboni. L’équilibre entre cinéma et théâtre rappelle une origine où l’artisanat primait, où deux bouts de ficelle et un drap blanc pouvaient figurer un fantôme, un maquillage d’Arlequin une mort burlesque qui vient frapper aux portes intérieures comme se répètent les premières notes de la dernière création schubertienne. Tout semble d’un autre temps, le disque est rayé et maintient, l’espace d’un instant, la magie foraine changeant l’espace scénique en vaste champ participatif dans lequel le spectateur trouve sa place, construit le film, relève les personnages tout autant qu’il les révèle, les fait accéder à la lumière. Car sans acteur, sans spectateur, la magie s’annihile, les sièges demeurent vides, le projecteur éteint. La magie naît justement de la capacité d’un auteur à faire s’entretenir deux intimités, un corps en posture de représentation et un corps en posture de réception-construction ; il fallait Bergman pour que la mort représentée se mue en germes existentiels, diffuse une essence mélancolique qui oscille entre deux polarités – l’élévation ou la chute – pour n’en choisir finalement aucune. Rappelant ainsi que la plus grande création voit le jour dans la douleur et, surtout, qu’il n’y a pas plus beau spectacle que l’existence humaine saisie dans sa complexité fondamentale.