(...)
Habilement charpentée, cette virée vers la solitude de grands illuminés fait fermenter une grande partie des obsessions du Maître Bergman.
Il y a d'abord, en grand, la dévotion du Suédois envers le théâtre et le cinéma. (...) Par une pirouette elle aussi purement cinématographique – l'embrasement électrique dû au projecteur – les acteurs contournent l'écran pour transposer le film en pièce de théâtre (singulier renversement de situation, analogie inverse de l'évolution de S'agite et se pavane). D'où une nouvelle matérialisation du tourment bergmanien, celui de la dramaturgie face au pouvoir anesthésiant du moralisme puritain. Prenant cadre dans un local de la Ligue de Tempérance locale, cette histoire brinquebalante réaffirme une dernière fois pour Bergman la primeur du théâtre, de la vie (le cinématographe « vivant ») sur les forces de mort et des compromissions affectives. Bergman n'est pas un artiste blafard, il fait s'incarner une force vitale résistant au protestantisme mortifère.
Au-delà, se figure également l'aliénation dans une ardeur pathologique et dans une chimère destructrice l'éloignant progressivement de la vie. (...) L'image de la mort fréquente le film, à l'instar bien sûr du Septième Sceau, mais aussi de nombreuses œuvres, de Jeux d'été où une tête de mort se dessine derrière une vitre aux monochromes rouges de Cris et chuchotements et de Saraband. On est là en terrain connu, ce clown fantasmatique qui rend visite à Akerblöm à l'asile et dont les apparitions glacées derrière un rideau ou un meuble ourdissent une présence sourde et implacable. Malgré cela, Akerblöm résiste et accomplit l'œuvre de sa vie, son accomplissement au crépuscule, son Voyage d'hiver - le leitmotiv de Schubert scandant le film et dont la composition précède de peu la mort du musicien.
En présence d'un clown parle de la disparition et de la solitude mais il le fait avec le dynamisme de l'aventure, comme l'atteste le dernier plan, contrepoint du récit : quand l'action dépeint l'inexorable fin, l'image ouvre un possible. La mort de Bergman nous réserve encore quelques surprises.
(Lire la critique complète sur Critikat)