Que font tous ces gens au volant de leur voiture, arrêtés à des feux rouges, coincés dans les embouteillages ? Où vont-ils ? Le savent-ils seulement, assistés par leur GPS, en bons pilotes automatiques ? Et si, du jour au lendemain, le GPS ne marchait plus et qu’il fallait choisir ses propres directions à nouveau…
Pour son premier long-métrage, Didier Barcelo invente un mal imaginaire se rapprochant de la crise de panique, plaçant une femme en proie à la déprime au volant de sa voiture, qu’elle ne peut plus quitter. Malgré tous les efforts mis en œuvre, impossible de poser un pied en dehors de l’habitacle. Louise se résout assez vite à vivre à l’intérieur de sa voiture, s’abandonnant toute entière à son sort. Pour s’attaquer à un sujet aussi farfelu, il fallait parvenir à construire une histoire crédible autour de ce personnage qui décide subitement de ne plus retourner travailler. Marina Foïs incarne cette quadragénaire avec suffisamment de gravité pour ne pas tomber dans un jeu grotesque, et parvient presque instantanément à rendre normale une situation pour le moins absurde. Son mal-être sournois, dont les causes profondes ne se révèleront que plus tard, laisse place à la spontanéité de l’inconscience, et à cette petite folie des grands départs improvisés. Sortie des rails d’une existence sans remous, calibrée au millimètre, Louise laisse à présent la porte ouverte à l’inattendu, à l’inconnu. L’inconnu, c’est Paul, jeune homme perdu et solitaire qui, se réjouissant d’être parvenu à voler une voiture ouverte sur un parking, se voit contraint de prendre en otage sa propriétaire. Devenus compagnons de route, ils se laissent entraîner dans cette aventure improbable, celle qui n’arrive qu’une fois dans nos existences de petits soldats. L’extraordinaire arrive à ceux qui se laissent porter.
Le film s’emballe et gagne en sensibilité, porté par l’énergie radieuse de Benjamin Voisin. Il est l’enfance déguisée en dur-à-cuire, il ne réagit qu’à sang chaud, il avance en ligne droite, avec toute la fougue et l’insolence de son jeune âge. Sacré meilleur espoir masculin, le comédien affirme sa capacité à passer du jeune premier (Illusions Perdues) au gangster improvisé, avec la même expression sensible de sa spontanéité de geste et de parole. Dans sa métaphore des passages à vide de l’existence, Barcelo met ainsi en scène deux âges différents, secoués des mêmes peurs, affranchis d’un passé qui les rattrape inexorablement, car la voiture ne va pas plus vite que les traumatismes enfouis. Le décalage entre eux apporte sa dose de comique, de même que la succession de situations loufoques et de personnages secondaires flottants à la lisière du rêve. La voiture, personnage à part entière, n’a pas comme Christine (John Carpenter) de pulsion meurtrière mais elle apporte une dimension fantastique suggérée, faisant de ses passagers les poupées d’une expérience vaudou en forme de road trip effréné, en un huis clos mobile. L’esprit, aéré comme une décapotable, se délecte de cette virée fantasque en bonne compagnie, rythmée par un humour sincère.