Magnifique surprise en ces temps de vaches maigres cinéphiliques, "Énorme" part avec... l'énorme (!) handicap du catalogage parmi les "comédies françaises" que lui garantit presque son affiche. Du coup, le grand public qui ira voir le film de Sophie Letourneur sortira déçu et irrité par l'étonnant virage du film dans sa dernière partie vers une approche quasi-documentaire de l'accouchement. Et son public "naturel", les amoureux du cinéma d'auteur bricolé, ne se risqueront probablement pas à aller le voir.
C'est très dommage parce que "Énorme" a... énormément (!) de qualités, en commençant par la difficulté qu'on a de le qualifier : entre comédie très drôle, grâce à une véritable performance de Jonathan Cohen, absolument excellent en futur papa au comportement pathologique grave, et militantisme toujours pertinent, puisque, un peu partout sur la planète (et même en France, oui !), les hommes s'approprient sans vergogne le corps des femmes, les réduisant systématiquement au rôle de maman ou de putain, il est difficile de dire ce que Letourneur a voulu faire, et c'est vraiment une bonne nouvelle pour tous ceux qui aiment le cinéma original, le cinéma qui ose...
On peut aussi bien sûr, même si l'on rit beaucoup, voir "Énorme" comme la description frontale d'un cas quasi-clinique, et le malaise qu'induit le comportement du personnage interprété par Cohen fait beaucoup pour l'impact du film. Loin d'être farfelues, les obsessions et les manipulations de Frédéric nous frappent, nous bouleversent même parfois, et l'idée - à notre avis brillante - de Sophie Letourneur de consolider la "vérité" de son histoire grâce à la participation de véritable personnel médical s'avère particulièrement efficace.
Finalement, le plus gros défaut de "Énorme", c'est sans doute d'être trop audacieux, qui plus est sur un sujet qui touchera, voire blessera pas mal d'entre nous, pour son propre bien. Mais des films avec des "défauts" comme ça, on en redemande !
[Critique écrite en 2020]