Le film d'Avi Mograbi pose une question simple «est-ce qu'un peuple qui a été persécuté et a été souvent obligé de fuir dont le pays s'est constitué avec l'arrivée massive de réfugiés, serait-il plus indulgent, plus tolérant, plus accueillant»?
La réponse est dans ce film, Entre les frontières, sur les réfugiés érythréens et soudanais, demandeurs d'asile en Israël et enfermés dans le camp de rétention de Holot dans le désert du Néguev. Contre toute légalité internationale, les autorités israéliennes les enferment pendant des années, dans des conditions draconiennes espérant qu'ils finissent par 'se lasser' et partiront.
Constatant l'attitude des autorités d'Israël, *Avi Mograbi***a envisagé de faire une fiction, «**une réfugiée juive et de la mettre en scène avec des demandeurs d'asile contemporain pour permettre, grâce à ce parallèle, aux Israéliens de voir leur propre reflet dans les yeux des demandeurs d'asile arrivant à notre frontière».
Lui paraissant difficile de mettre en place ce projet, il s'est rapproché du metteur en scène Chen Alon, qui lui a suggéré de raconter l'histoire sous la forme du Théâtre de l'Opprimé, d'Augusto Boal, faisant jouer aux réfugiés leur propre vécu et associant ensuite des Israéliens, comme dans un atelier-théâtre. Et de cette initiative naît un film très inventif, qui place le spectateur au cœur de leur problématique faisant vivre de l'intérieur la confrontation avec les citoyens d'Israël jusqu'au point d'inverser les rôles.
On perçoit bien tout le travail de mise en confiance nécessaire pour faire évoluer ces réfugiés vers l'expression des pires séquences qu'ils ont vécus et arriver à partager avec les Israéliens leurs épreuves et leurs espoirs.
Lors d'une avant-première Chen Alon disait que c'est «le résultat d'un travail d'un an et quelques mois pour construire la solidarité et sauver notre démocratie». C'est en effet là la question, comment peut-on vivre et sauvegarder la démocratie quant l'oppression s'installe comme règle de vie.
Le titre du film Entre les frontières, est né du travail des ateliers-théâtre avec les demandeurs d'asile, et le réalisateur lui donne une dimension humaniste: «J’ai essayé aussi de ne pas faire référence à un moment physique ou à une situation concrète, et de parler aussi de manière plus abstraite, pour montrer que ces personnes sont perdues dans des limbes, parce que nous sommes incapables de les accueillir correctement. Ils ont perdu leur liberté de mouvement, ils ont perdu leur possibilité de décider de leur propre destin, ils sont sans statut».
Le travail de documentariste d'Avi Mograbi est connu et, une fois encore, il se met en jeu soulignant ainsi tout son engagement pour son pays se confrontant avec le regard critique qui est le sien sur la position des gouvernements successifs d'Israël, interdisant et empêchant toute opposition politique ou civique pour une évolution vers la paix.
Que peux un film? A cette question Avi Mograbi a répondu lors de l'avant-première «Pendant des années j'ai voulu changer le public avec mes films, mais c'est idiot, on ne change pas ainsi. Ce qu'on permet c'est d'aider les problèmes à devenir conscients pour tout le monde. Je ne cherche pas à vous transformer mais à vous inciter à contribuer à transformer cette réalité».
Aller voir ce film et le faire connaître c'est une façon d'y participer. Et du coup allez-y ce film nous apprend beaucoup sur Israël!
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/160117/israel-mountain-entre-les-frontieres