Entre les Murs est effroyable. Un des films d'horreur les plus efficaces jamais vus. A tous les niveaux.
Si Laurent Cantet se réclame du réalisme et s'en fait le chantre, au fur et à mesure que le long métrage se déroule, force est de constater qu'il se fissure inexorablement. Les premières minutes d'une réalité de façade se muent rapidement en un cinéma vérité factice et monté de toutes pièces, où les scènes de classes sonnent de plus en plus faux et ont le goût du répété, prenant parfois des allures de sitcom bas de gamme qui vrillent les oreilles comme le bruit des ongles longs qui passent sur un tableau noir. Il n'est pas interdit d'y voir les prémices de la scripted reality pourtant honnie par les bien pensants de tout poil. Quant à la caméra, elle est toujours au bon endroit, filmant "le" moment pour bien asséner le message pour les deux fond près du radiateur qui bayent aux corneilles.
Je disais que le film se fissurait : il ne fait que refléter le véritable effondrement d'un système sous le poids de l'angélisme naïf et de la bien-pensance dont Cantet porte bien haut l'oriflamme, avec la complicité d'un François Bégaudeau qui en profite pour tapiner et vendre quelques exemplaires supplémentaires de son bouquin dont ce film n'est qu'une adaptation. Sa méthode est fondée sur le renoncement et l'acceptation de l'aculture des gamins assis devant lui, perpétuellement en train de remettre en cause ce qu'on leur enseigne. Toujours avec dédain, désinvolture et irrespect. Il n'hésite pas à transformer ses cours en ateliers collier de nouilles ou tribune libre (c'est pas comme s'il y avait un programme à respecter), ni à laisser sa classe sans surveillance (bonjour le réalisme) pour conduire un élément perturbateur chez le principal. Une telle représentation de ce qui devrait être la manifestation de la réalité laisse rêveur... Le seul point positif du film, c'est que sa méthode prônant le "faire copain-copain" lui explose au visage en fin de métrage. Bof, de manière toute relative, hein, parce que Cantet efface finalement l'ardoise comme par magie, les différends subitement envolés à l'orée des vacances.
Et les profs, ils en prennent pour leur grade. Se préoccupant avant tout du prix de la consommation à la machine à café, refus de toutes sanctions, considération perpétuelle d'excuses à même d'expliquer un comportement inqualifiable. Avec leur art de la litote inimitable, ils ne peuvent se résoudre à sévir au nom d'un angélisme ahurissant leur faisant croire à ce qu'ils disent, du genre "ils sont difficiles mais adorables !". Cantet remet ainsi dix balles dans la machine pour perpétuer l'image désuète du prof bobo qui vote bien à gauche. Faudrait sortir, mon vieux ! Et ils sont bien sûr politisés à l'extrême puisqu'on a droit (inévitablement) au parent sans papier qui se fait expulser par les méchants flics vilains qui font des rafles. Rien que l'utilisation même de ce mot dénote de l'inculture de certaines personnes qui doivent transmettre le savoir à nos chers petits. Le dictionnaire doit uniquement servir, chez eux, à caler la table de la salle à manger.
Dans ce Entre les Murs, ce soi-disant sanctuaire dénommé école n'en est plus un depuis belle lurette. Et le plus effrayant, c'est ce portrait d'une adolescence de cauchemar, irrespectueuse, je-m'en-foutiste et nonchalante, à laquelle la politesse la plus élémentaire échappe. Celle qui renverse les perspectives et où l'enfant impose ses règles, qui considère qu'on le cherche, qui décide que le prof ne doit plus lui adresser la parole et qui adopte une compréhension toute relative et incertaine des mots les plus usuels dévoyés de leur sens premier. Il n'est jamais réfréné dans ses accès de violence et de colère, ni dans ses comportements les plus outranciers, alors que l'école est le lieu de l'apprivoisement de la vie en communauté. Un autre signe de renoncement ?
Le film se garde cependant bien d'apporter une solution aux problèmes qu'il dénonce mollement. Il prend alors la forme d'une première rédaction hésitante où la thèse (la méthode Bégaudeau à l'épreuve) sera par la suite violemment démentie. Sauf que la dernière partie tire à la ligne. Et si ma prof de philo était là, cette vieille peau aigrie vous dirait que le devoir de l'élève Cantet évite soigneusement d'amener le sujet à s'élargir où de résoudre la sacro-sainte problématique. En effet, Cantet se contente de poser sa caméra après avoir fait répéter ses acteurs pour "capturer sur le vif" le pseudo message qu'il veut porter à l'élite bien pensante, point. Il se gardera bien de verbaliser le fait que le collège unique des ministères, idéal, qui accueille toutes les classes sociales sur la base d'un égalitarisme nauséabond, creuset de la pluralité et de l'apprentissage du vivre ensemble n'est qu'un bouillon d'inculture où prospèrent le communautarisme et la pyramide sociale de la cité qui en a depuis longtemps défoncé les portes. On y est effaré d'apprendre que les Français bien sapés puent le fromage, sont qualifiés de "jambon-beurre" et que, dans le même temps, certains élèves déclarent face caméra, la main sur le coeur, dans un élan de sincérité qui force le respect, être contre le racisme...
Mais le plus glaçant, c'est cet aveu de renoncement et d'impuissance, ce silence de mort dans une salle de classe vide et en désordre, quand une élève dit qu'elle a lu La République en dehors du collège, et qu'une de ses amies n'a "rien appris" pendant l'année. Après l'effondrement, le brouillard se dissipe pour laisser se dessiner les reliefs d'un champ de ruines.
Ce n'est pas la méthode Bégaudeau qui résoudra le mal, lui qui a attendu le succès du film certifié par la critique bien pensante pour prendre définitivement la tangente et ne plus être devant les gosses. Car en effet, il n'est plus prof depuis belle lurette, le coquin. Il est maintenant écrivain, critique littéraire et scénariste (d'après sa fiche wiki). Et il devise joyeusement sur le caractère non obligatoire que l'école devrait prendre.
Faîtes ce que je dis mais pas ce que je fais ? Ca en a tout l'air.
Behind_the_Mask, qui va passer tout son samedi matin en retenue.