Entre les vagues fait partie de cette catégorie de film que je n'aime pas critiquer, car j'aimerais pouvoir les aimer tout à fait, sans retenu, sans réserve. Il y avait tout, j'étais prêt. Une vraie belle énergie, une esthétique incroyable (tourné en Digital Bolex, on aurait dit de la pellicule) où la caméra portée n'est pas juste le cache-misère de la pauvreté de la mise en scène (coucou Tu mérites un amour), et un travail avec les comédiennes qui se ressent intensément, sans ce jeu naturaliste lourd, pauvre, chiant, où l'on essaie à tout prix de mimer le réel sans idée, ni de ce qui doit être dit, ni de ce qui doit être fait. Non, ici, les comédiennes déclament avec assise et aisance un texte, un vrai, qui s'entend par moment, mais peu importe, puisque c'est un texte beau, bien écrit, dans lequel Anaïs Volpé a confiance, et ça fait du bien ! A l'occasion, rappelons qu'il n'y a pas de mauvais acteurs, que des mauvais castings et des mauvaises directions d'acteurs. Et bien force est de constater qu'Anaïs Volpé brille sous ces deux casquettes. Enfin, l'inventivité constante dans les mises en situation, toujours drôles, toujours touchantes, jouant très habilement du "jeu d'actrice" (la vengeance contre le mec qui l'a laissé tomber, toutes les séquences qui demanderont à Margot de jouer devant Alma), m'a joyeusement enchanté ! NEANMOINS. Néanmoins.


Le film esquisse un sujet d'une immense force. Deux amis rêvent de la même chose, un ami l'obtient, l'autre pas. Et alors, par la force du destin (cette belle destinée organisée qu'est la fiction), le premier perd la chose rêvée, tandis que le second la récupère. Entre tristesse pour l'ami et joie pour soi, ce second personnage se trouve être tiraillé par une intense contradiction, écartelé entre deux pôles opposés, l'altruisme et l'égoïsme. Cette contradiction donne une force formidable à tout récit qui s'empare d'une relation comme celle-ci. Malheureusement, dans le film, le montage (virtuose, c'est clair, toujours très inspiré des vidéos YouTube, dans la continuité de Heis, le premier film) est trop haché pour créer de vrais moments de calme, de respiration, d'introspection ; en un mot, de temps. Il y a aussi les impératifs du genre, le mélodrame, qui nous amène nécessairement son lot de scènes "tire-larmes" attendues. La conjonction de l'un (le montage youtubesque) avec l'autre (le genre du mélodrame) fait que mes émotions ne montent pas, ne jaillissent pas, car le film me les impose maladroitement. Un exemple.


La séquence de la mère qui annonce que Alma va mourir. Elle arrive devant Margot. Elle tire la tronche. Margot s'enthousiasme du mensonge de la mère. Elle finit par comprendre. Le spectateur comprend aussi. La mère pleure. Margot la prend dans ses bras. Si je me souviens bien, cette scène est un unique plan séquence qui doit durer environ une minute. Cut. Margot est avec son mec et fait l'amour avec lui en pleurant. A mon sens, se concentrer sur le moment, travailler cet instant avec la mère, le faire durer, l'observer sous toutes ses coutures, les faire parler... Là, dans ce cas-là alors, l'émotion était permise. Et ce n'est qu'après que scène d'amour il y avait. Et alors, scène d'amour terrible et ambiguë il y avait (cela dit, on pourrait également discuter de la justesse de cette scène de sexe). Si Cassavetes ou LVT arrivent à m'emporter, c'est parce qu'ils n'ont pas peur de la scène, pas peur du temps qui se déploie devant la caméra. Ici, tout est ellipsé, éclipsé, par le montage sans doute, mais aussi par l'écriture, qui s'arrêtent timidement là où pourrait commencer, par la longueur de la scène, le moment, le vrai, celui où l'on touche enfin du doigt une vérité innommable, des sentiments dont la complexité ne peut plus être mis au jour par des mots.


Un très bon exemple, et ce sera mon dernier, se trouve dans la scène où Margot hurle à son amie "tu n'es pas malade, tu n'es pas malade, viens on va jouer". Tension absolue. Crispation de mon corps. Sa colère, c'est aussi la mienne. Cette injustice qui la saisit, cette contradiction qu'elle ne pourra jamais résoudre, peu importe ce qui est dit, ce qui est fait, c'est aussi la mienne. Le travail du film jusque là est parfait. Mon état, au moment d'aborder cette scène, est le bon. Je suis au bord, moi aussi, de la crise. J'ai besoin, moi aussi, de tout laisser sortir. Trop plein de l'émotion. Vient alors le dernier plan de la séquence. Margot s'est calmée, mais ne s'est pas encore détendue. Les médecins la tiennent encore. Et c'est à cet instant qu'elle commence à respirer, qu'on lui dit de respirer, qu'on me dit de respirer. Détente. Les larmes sortent. Ses larmes sortent, sa respiration libère enfin ces longues minutes de tension, une inspiration cassée, désespérée, mes larmes, elles aussi, commencent à sort... CUT. Séquence suivante. Voilà que le montage reprend déjà ses droits, m'empêche, elle et moi, de rentrer en communion, de pleurer à l'unisson la lourdeur qui s'abat sur nous. A cet instant, le film brise son illusion et me refuse l'émotion.


Bresson, LVT, Bergman, Sciamma... Ils me font pleurer. C'est parce qu'ils me donnent du temps, c'est parce qu'ils décortiquent, c'est parce qu'ils creusent dans une même scène, dans un seul geste, dans quelques paroles, dans un regard. Dancer in the dark creuse dans ce long couloir de la mort. Chaque pas est d'une difficulté infinie. Pas de pitié pour le spectateur, pas de complaisance. Vérité absolue du chemin vers la mort. Oui, le mélodrame exige de la cruauté, de la violence.


Le choix de faire mourir Alma est d'ailleurs édifiant : si elle meurt, alors la contradiction de Margot se résout d'elle-même.


Mais Entre les vagues, à trop vouloir superposer les voix, les images, les sentiments, se perd, s'adoucit, s'aseptise et s'amenuise. Ce sujet, cette contradiction, dont je traçais les contours plus haut dans mon texte, ne parvient pas à prendre son envol car tout reste en surface. Une surface certes jolie, certes agréable, certes intense par moment, certes très bien dirigée, mais qui ne propose finalement dans le dernier acte (après une toute première partie géniale et une montée en tension brillamment orchestrée dans la seconde) qu'un reflet aguicheur que je connais déjà, que le film ne me fait pas explorer.

GregMaison
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le 4 sept. 2021

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Greg Maison

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