Le film est, cinématographiquement, assez brillant. Ca fait du bien. On pose le cadre. L'émotion ne viendra pas des artifices d'immersion que l'on voit trop souvent ces derniers temps au cinéma. Non, elle viendra, peut-être, d'une sidération face au jeu de la reconstitution minutieuse de ce qui est, et le carton de départ est là pour nous le rappeler, une fiction.
Pourtant, le film est moins une enquête sur un scandale qu'une enquête sur deux personnages. Ces deux personnages commencent dans une réalité factuelle (article, témoignages, doutes, preuves...) pour peu à peu aller vers la fiction (roman, affabulation, refus du doute...). C'est intéressant de voir que le point de bascule n'est jamais identifié clairement puisque tout ce que dit Hubert se base sur des choses vraies. On suppose qu'à force de raconter, de se raconter l'histoire, des histoires, progressivement des éléments s'ajoutent, d'autre disparaissent, des arcs naissent... Ainsi, l'intérêt du film ne réside à aucun moment dans une question binaire de l'ordre de "il a menti ou pas ??" car il ne ment jamais tout à fait. Il est d'ailleurs notable de voir que le seul moment du film où on fait de lui un menteur aux yeux de la justice (cela a donc été prouvé ; le verdict est factuel) pointe du doigt le seul événement que l'on sait être vrai car montré en scène d'ouverture. D'autres motifs viennent nourrir tout cela (pour moi, le coeur du film), comme la scène avec le réalisateur de France TV. Ce dernier s'en va après avoir entendu un témoignage non-romancé et a priori factuel d'anciens membres de l'état espagnol, ce qui montre bien ce qu'il voulait : de la fiction, le romanesque et l’esbroufe de Hubert. On verra d'ailleurs que plus la fiction avance, plus Hubert et son acolyte s'enferment dans la fiction, plus le cadre vide l'ancrage réel des personnages. D'une table de café parisien, on passe à un hôtel luxueux en Suisse, de rues bondées de monde parcourues en scooter, on passe à une boîte de nuit un peu surfaite dans laquelle les personnages sont immobiles. La dernière incursion de la fiction sera ce pied de nez par essence scénaristique : Hubert se meurt, il a un cancer.
Je ne suis pas sûr qu'il soit si intéressant que ça de porter au pinacle le jeu d'acteur, qui est lui aussi dans la droite continuité de ce que je décrivais : on sent les lignes de dialogue, et les hésitations, les bégaiements, tout cela est calculé, tout cela est joué, ce qui accentue l'idée que tous ces gens sont en représentation constante et garantissent eux-mêmes leur fiction. Bref.
Ce jeu de plonger dans la fiction accompagne un autre mouvement qui est celui de la confrontation entre l'individu et le système. Là où les journalistes interrogent le système, les politiques, pour justifier le fait que le système doit rester tel qu'il est, ne peuvent que faire une réponse d'ordre individuel aux attaques des journalistes (d'où le procès en diffamation). Par cette différence de nature, l'on comprend que les positions des uns et des autres sont irréconciliables, et que la seule manière de faire est de repenser le système.
Mais une fois tout cela dit, que dire ? Et bien peut-être rappeler, à l'aune de l'édito numéro 5 de Tsounami, que l'analyse n'efface jamais le primat des émotions. Et... Comment dire ? Et bien c'est que les émotions ramaient un peu, de mon côté. Pourquoi ? Je pense plusieurs raisons. Celle de l'angle d'attaque : proposer comme sujet cinématographique une frontière entre fiction et réalité, une "crise de la vérité", et l'exploiter sur la base de ce scandale est peut-être trop ambitieux. On laisse nécessairement de côté ce qui aurait pu être une véritable enquête, en détaillant, un peu à la Bresson, tous les mécanismes qui mènent d'une situation A à une situation B. On laisse aussi nécessairement de côté l'ancrage du réel puisque les personnages même ne sont pas intéressés par la réalité mais plutôt par une vérité qui leur est propre ; bien que la caméra soit fixe et lointaine par moment, cela ne suffit pas à ausculter puisqu'avec les ellipses incessantes qui parcourent le film, on est du côté des personnages et de leur flou constant. Et puis on laisse un peu de côté le sujet cinématographique du film, là où un Desplechin, dans Tromperie, l'embrasse pleinement et m'amuse, avec son outrance, avec ses tergiversations littéraires, avec ses masques... Ici, on pourrait croire à la pizza à l'ananas, mais c'est plutôt que les personnages sont tellement en vase clos et tellement peu caractérisés en dehors de la situation qui est la leur qu'on se contrefout de ce qui leur arrive. Et puis le coup de grâce asséné par le film à mes émotions : cette musique sourde et incessante qui m'oblige la tension, qui me prend, encore et toujours, en otage. A l'arrivée, tout sonne faux, rien n'est vrai, c'est le réel mais un peu fictif quand même, et aucune vérité n'est apparue.