Le dispositif de "Enys Men" (signifiant Stone Island en celtique, ou plus précisément en cornique, la langue parlée en Cornouailles) est clairement expérimental, du genre de ceux qu'on retrouve habituellement dans des courts-métrages. Une narration très hachée, quasiment sans dialogue, qui présente une histoire mystérieuse. On ne comprend pas tout, et ce sera le cas jusqu'au bout du film : l'idée est avant tout de créer une ambiance très particulière chez Mark Jenkin, avec un grain très épais rappelant les pellicules des années 70 — l'action est a priori située en 1973. Son précédent long-métrage, "Bait", serait du même acabit expérimental.
La répétition des mêmes actions confère au film une certaine lourdeur, qui ne sera évacuée que chez ceux qui trouveront un intérêt formel à l'expérience. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup apprécié la démarche du plasticien, mais en revanche je n'ai pas trouvé de justification à l'étirement sur 1h30... Sur une île des Cornouailles, une femme effectue des relevés géologiques et écologiques selon une routine quotidienne : elle va observer une fleur rare, lance une pierre dans un puits, rentre dans son habitation, allume le générateur, note les observations dans un cahier, boit un thé, etc. On a droit au même enchaînement d'action plusieurs fois et il faut avouer que c'est un brin pénible.
Bien sûr la routine prend une tournure étrange à un moment donné, on voit apparaître des personnes, des symboles ou des objets qui semblent avoir une signification particulière. Une part est sans doute liée au passé de l'île une autre au passé de la protagoniste : ça s'arrête là. Ce délire expérimental est intéressant pendant un petit moment mais tourne vite à vide à mes yeux, avec un petit côté folk horror d'auteur un peu dérangeant. Le film a été tourné pendant un confinement de 2020, donc il y a fort à parier que l'apparition du lichen sur la fleur et sur le corps de l'héroïne a une signification cachée, mais cela ne constitue pas un intérêt transcendant. J'aurais sans doute préféré un peu moins d'ésotérisme et un peu plus d'horreur angoissante, car le potentiel esthétique de Mark Jenkin est pour le coup assez phénoménal.