Un grand film malade.
Difficile de produire une critique construite sur un univers qui se dérobe autant à l’interprétation. La seule chose qu’on puisse verbaliser, c’est l’impact du film.
Extrêmement travaillé, d’un noir et blanc expressionniste jouant sur les clairs obscurs, il met en place toutes les composantes du cauchemar. Une succession de séquences s’entremêlent sans qu’il soit possible d’en extraire un véritable continuum.
S’il fallait trouver une intrigue, on pourrait dire cela : la venue au monde d’un prématuré non désiré et monstrueux d’apparence finit par devenir le seul point d’ancrage de l’affect du spectateur : à la fois repoussant et de plus en plus humain, voire capable de susciter l’attendrissement. Autour de lui, monde onirique et pseudo-réalité fusionnent dans un long cauchemar absurde.
La vraie force du film, ce sont ces ponctuelles ébauches de sens : un couple, un désir d’ailleurs, la difficulté du rapport au nouveau-né censé être la chair de notre chair. Cette dernière est d’ailleurs l’un des éléments majeurs, une obsession de l’œuvre : étirée, enflée, tumorée, elle s’étale et se liquéfie. La sécrétion constante et de plus en plus envahissante, les orifices et les ouvertures, tout ne cesse de se mouvoir et de communiquer dans une esthétique liquide et poisseuse.
A cela s’ajoute un travail exceptionnel sur le son. La plupart du temps mécanique, issu de vibrations ou de cliquetis industriels. Sans réelle continuité, promesse initiale d’une musique d’ambiance qui ne vient pas, il génère un collage âpre et déroutant et contribue fortement à l’atmosphère oppressante.
Le film doit son titre à l’une des séquences les plus surréalistes de l’œuvre. La tête du protagoniste s’étant détachée, on l’apporte dans un atelier où l’on prélève une carotte de son cerveau qui devient la matière d’une gomme posée au bout de crayons qui défilent sur une machine. La psyché efface ce que le crayon écrit, le rêve efface le sens, les méandres du cortex perdent la tentation de circonscrire un discours rationnel. Perversement, Lynch propose, lors de l’une des rares unités narratives symbolisables, d’expliciter l’impossibilité de l’entreprise d’interprétation.
Une œuvre qui colle aux yeux, qui échappe à tout discours conventionnel et qui de ce fait mérite vraiment l’appellation de film d’épouvante.
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