S’embarquer dans Eraserhead c’est accepter d’être plongé dans un univers où se déploient la matière corporelle, les orifices et fluides en tout genre, car oui, Eraserhead est viscéralement un film organique quitte à provoquer le dégoût du spectateur ; le summum du sordide et du glauque est incontestablement atteint avec le fils prématuré de Mary et d’Henry, le protagoniste principal de l’histoire interprété par le génial et regretté Jack Nance, véritable gueule du 7eme art qui reviendra dans plusieurs films de Lynch. Si le bébé est volontairement monstrueux, peut-être burlesque dans un certain sens quoique horrifique, c’est aussi parce que le film n’a cesse de s’interroger sur les concepts de conception, de fécondité ; les premiers plans en sont déjà la preuve, notamment avec la présence d’un étrange personnage de démiurge qui semble être à l’origine de la formation d’un gigantesque spermatozoïde. Rien de bienheureux donc dans la maternité de Mary et la paternité d’Henry qui ne sont pas du tout prêt à élever leur progéniture dans leur appartement miteux. D’ailleurs l’atmosphère industrielle qui règne dans l’univers d’Henry n’est pas très propice à la fécondité justement. Tout est morose et lugubre, apocalyptique presque ; comme le dira le père de Mary même la tuyauterie ne vaut plus rien. Dès lors les repas de famille deviennent malaisants (cette scène m’a provoqué l’un des plus grands malaises dans un film), la sexualité est un synonyme d’affres, et même les plantes tournent au vinaigre. Seul le rêve peut servir d’échappatoire, à moins qu’il ne devienne un véritable cauchemar dans cette véritable fable kafkaïenne où les notions de genèse et de conception sont au premier plan.
Bref, difficile d’évoquer le premier film de Lynch avec neutralité et lucidité. Car le film est une expérience qui embarque tout le corps. La maîtrise du son est déjà exceptionnelle et contribue plus que tout au malaise ambiant. Le leitmotiv de l’électricité (sur un plan sonore, visuel ou même symbolique) se veut perpétuellement menaçant et angoissant, comme ce sera le cas dans Twin Peaks ; à tout moment quelque chose peut disjoncter, la coiffure d’Henri semble déjà en avoir fait les frais.