Sic transit gloria Lunae Praestigiarum.
Il y a une douzaine d'années de cela (déjà !), quand ce film a été annoncé, j'étais, en grand fan de la série, très enthousiaste. Bien sûr, aucune sortie officielle en France n'était prévue, je me suis donc débrouillé pour assister à l'une des quelques projections amateurs où on pouvait voir ce film. Sur le moment, c'était devenu instantanément un de mes films préférés de tous les temps de l'univers.
La suite logique, c'était donc de se procurer un dvd de contrebande chinoise à Konci (parce qu'il y avait des sous-titres en anglais, et parce qu'un vrai dvd japonais, ça coûtait cinq fois plus cher) et de vouer un culte au film par des visionnages fréquents.
Mais déjà à l'époque, je sentais que quelque chose n'allait pas : chaque visionnage me laissait un peu moins satisfait que le précédent, l'enthousiasme s'est vite étiolé, et la boîte du dvd a commencé à prendre la poussière.
Des années plus tard, je me suis dit que quand même, j'aime Escaflowne, alors je vais revoir le film, ouais, youpi ! Et là il a fallu se rendre à l'évidence : c'est mauvais, et ça l'a toujours été.
Pire, peu de temps après, j'ai revisionné toute la série, et là je me suis non seulement aperçu que c'était bien meilleur, beaucoup mieux fait que dans mon souvenir, mais surtout j'ai compris l'essence du problème : tout ce qui était réussi dans la série est raté dans le film.
Tout ce qui était subtilement déconstruit dans la série devient un cliché dans le film. Dans la série, Hitomi ressemble au début à un fantasme d'adolescent un peu trop parfait, mais elle révèle progressivement ses faiblesses et ses angoisses, son pouvoir de divination, très attirant au début, dévoile des aspects sombres et malsains à mesure que l'histoire avance (toute la série est porté par un questionnement sur les dangers de prédire et de manipuler l'avenir). Dans le film, Hitomi est une ado dépressive et désagréable, qui ne fait presque rien de toute l'histoire, au point qu'on aurait très bien pu la supprimer du film.
Dans la série, l'arrivée de Hitomi sur Gaïa est un accident, sa présence est perçue comme une gêne, et le but premier de Van est de la renvoyer chez elle le plus vite possible, ce n'est qu'à mesure que la série progresse qu'elle gagne sa confiance en prouvant qu'elle peut être utile. Dans le film, elle est délibérément invoquée, et sa venue était prophétisée, à peine arrivée elle est traité avec révérence comme une déesse, il n'y a que Van qui montre la moindre méfiance — il est aussitôt puni par le scénariste qui lui envoie une dague dans la jambe
Dans la série, Gaïa est un univers de fantasy plutôt original, qui évoque l'Europe de la Renaissance, avec une pointe de technomagie et de steampunk. C'était un décor bien développé, avec des nations et des cultures distinctes. Dans le film, Gaïa est un univers de dark fantasy parfaitement quelconque, la Renaissance a cédé la place à une copie pâle, terne et rocailleuse du Japon féodal, où on retrouve le cliché du Méchant Empire Avec Une Technologie Futuriste quand le reste du monde vit au moyen-âge.
Dans la série, Escaflowne est une armure de combat parmi d'autres, sa nature particulière n'est dévoilée que très progressivement. Dans le film, Escaflowne est un artefact unique dont la nature biotechnologique est tout de suite montrée, et la seule autre armure au monde n'est amenée que pour qu'Escaflowne puisse la démolir.
Il faut voir le traitement que le film fait des personnages secondaires, qui bien souvent ne sont là que pour faire de la figuration, simplement parce que ce sont des personnages populaires de la série et qu'on ne pouvait pas ne pas les mettre – raisonnement casse gueule, la série a des dizaines de personnages secondaires, il fallait faire un choix plutôt que d'essayer d'en caser un maximum dans un film d'à peine une heure quarante – une durée qui semble à la fois trop longue (parce qu'à force de d'ajouter des scènes juste pour faire apparaître un personnage secondaire, l'histoire n'avance pas et on apprend rien ni sur l'univers ni sur les personnages déjà présents) et trop courte (parce que si on voulait absolument reprendre tout ces éléments de la série, il fallait prendre le temps de les développer et de leur donner un but) ; et si le film se contentait de ça, mais il faut encore qu'il change radicalement certains personnages, et entre Mirana qui devient une action girl (mais qui en fait n'en fout pas une de tout le film) et Dilandeau réduit à un vulgaire mercenaire, on se demande vraiment quel est l'intérêt d'avoir gardé ces personnages. Il n'y a guère que Jajuka qui a un rôle plus développé que dans la série (mais pour compenser son character design est horrible – ainsi que celui de la plupart des autres hommes-animaux du film, en fait).
Les personnages principaux ne s'en sortent pas mieux. J'ai déjà parlé d'Hitomi, mais Van n'est guère plus intéressant ; dans la série c'était un garçon sensible et intelligent, qui dissimulait sa peur de battre et son pacifisme derrière une posture de virilité mal assurée. Dans le film, c'est une brute qui a peur du feu. Et son frère est encore pire.
Faire de Folken le "méchant" de l'histoire n'était pas en soi une mauvaise idée, mais il aurait fallu lui donner des motivations un peu plus complexes que "mon petit frère a été choisi pour régner à ma place, donc je vais tout casser" ; le résultat n'a aucun intérêt, le personnage de Dornkirk dans la série faisait un antagoniste autrement plus développé, et du personnage original de Folken, il ne reste définitivement rien, sinon qu'il est le frère de Van.
Je passe sur le scénario du film (il n'y en a pratiquement pas), sur plusieurs scènes qui sont un mauvais plagiat de Nausicaa, sur le fait que le ton plus sombre et plus mature que visait le film est complètement raté, et sur ce que tout ce qu'il pouvait y avoir d'intelligent et de subtil dans le propos de la série a disparu au profit d'une vague morale de fantasy passe-partout, pour en venir au point le plus incompréhensible : la qualité de l'animation.
Années 90 obligent, la série avait un budget assez serré, mais les animateurs faisaient de leur mieux pour jongler avec cette contrainte, d'autant plus délicate qu'il y avait de très nombreuses scènes de batailles, de mécanismes complexes, d'effets lumineux, pas beaucoup d'occasion de se reposer ! En tenant compte des limites imposées au départ, le résultat était très probablement le meilleur possible.
Et bien le film, c'est le contraire : un budget plus conséquent, beaucoup de scènes avec rien ou presque à animer… et c'est mauvais, c'est vraiment très mauvais, les combats sont confus, indéchiffrables, l'affrontement final entre les deux armures est tellement mal fait que c'est à pleurer, on croirait à leur manière de bouger qu'elles flottent en apesanteur, tant leurs mouvements sont sans rapport avec l'environnement où elles évoluent, c'est à se demander si cette scène n'a pas été sous-traitée en Corée du nord…
Finalement, tout ce que je retiens de positif, c'est la bande originale, qu'il m'arrive encore d'écouter de temps en temps. Pour le reste, je crois bien que le dvd du film ne quittera plus jamais sa boîte, alors que je prendrai encore plaisir à regarder la série dans dix ans (sans même que ce soit la meilleure série du monde, mais comparé au film, il n'y a vraiment pas photo). Et si je veux absolument une autre histoire de fantasy avec des méchas, je me tournerai plutôt vers Break Blade.