Essential killing, ou l’histoire du verre à moitié plein ou du verre à moitié vide : c’est soit un film trop neuneu plombé par une métaphysique de bazar, soit pas assez radical ni impressionnant à aucun moment. Dans tous les cas, c’est totalement raté et bigrement ennuyeux. Loin de l’expérience cinématographique promise et attendue (aucun dialogue, intrigue minimale, retour à l’animalité…), Essential killing s’échine à vouloir proposer un cinéma de l’hypnose et de la sensation, mais sans jamais atteindre le niveau des grandes réussites de ces dernières années. Aucune poésie à la Du Welz, aucune audace à la Grandrieux, aucune puissance à la Winding Refn, aucune inventivité à la Noé, aucune exigence à la Béla Tarr… Ça ne fonctionne pas.
Jerzy Skolimowski, en mode "Moi aussi je veux faire de l’expérimental", croit bon de filmer longtemps un mec dans la neige retournant à l’état sauvage ou en tuant un autre à la tronçonneuse avec une musique space par-dessus pour se considérer comme le nouveau chantre du trip extrême et total. Vincent Gallo, lui, plus proche du Christ en stage de survie (barbe et cheveux longs, plaie au flanc droit, chemin de croix, figure du martyr) que d’un méchant taliban en cavale, écarquille des yeux et bave et grogne, trouvant ici un rôle à l’aune de sa réputation d’acteur acharné (timbré ?).
Après Gallo se fait sucer pour de vrai par Chloë Sevigny, on a donc droit à Gallo mange des fourmis, Gallo croque de l’écorce, Gallo fait du cheval (ou inversement), Gallo se prend un arbre dans la gueule, Gallo s'éclate au waterboarding et Gallo déguste du poisson cru (avec un air de candidat à la Survivor se précipitant sur un Bounty après trois semaines de racines de manioc). Et pendant 1h20, tout ça finit par devenir furieusement lassant et très vite répétitif (dans un presque même genre, le lumineux Gerry arrivait à complètement subjuguer, comme quoi tout est affaire d’alchimie et de perception). Pour passer le temps et se marrer un peu, on peut toujours imaginer Gallo prêt à manger son caca, à s’amputer une jambe ou à se faire une fellation.
Puis après on croise Miss Polanski en sainte Marie venue faire fissa de la figuration ("Bon Jerzy, Manu a rien fait de sympa depuis un bail, en plus j’étais à résidence, c’était pas la chouille à la maison, tu pourrais pas l’embaucher dans ton truc là, avec l’autre cinglé ?"), puis après c’est fini parce qu’il y a un cheval blanc à l’écran avec un joli coucher de soleil, et ça veut dire la mort tu vois, et c’est super intense, c’est super engagé comme symbolique tu comprends, et pas du tout éculé en plus.
Entre survival polaire et œuvre pseudo-formaliste, Essential killing tâtonne, tente des choses, mais échoue globalement à provoquer un ressenti cataclysmique (sinon celui du découragement), à trouver un ton et un rythme, linéaire, ramolli, tout en cherchant à donner un minimum de sens (mystique ? Politique ?) à ce qu’il (dé)montre (l’homme, c’est une bête ; la torture, c’est pas bien ; l’armée américaine, c’est tous des gros cons qui disent "Fuck!" et qui écoutent du heavy metal à fond dans leur bagnole). En sus de cette indigence contestataire, il faut pouvoir supporter un ridicule en état de grâce qui provoque, le plus souvent, un rire involontaire (les flashbacks/rêves minables avec soleil radieux, muezzin, chèvres et jolie épouse, la scène de tétée au sein avec la femme à bicyclette qui meurt soudainement… de quoi ???). Des événements se succèdent, platement, bêtement, et comme autant d'instants de pur remplissage, atomisant l’éventuel intérêt que l’on pouvait accorder à ce machin pas très subtil qui nous prend pour des jambons. C’est chiant, très énervant et sinistre comme tout. Essential emmerding.