Voilà un film intéressant, sur la forme et le fond. Tout d’abord, le réalisateur a fondé son projet sur une photographie prise en 2006 sur une plage des Canaries par Juan Medina, pour l’agence Reuters. On imagine que cette photographie a suscité un choc chez le réalisateur Ronny Trocker, et on le comprend : il s’agit d’un naufragé remontant la plage à quatre pattes, tandis qu’en arrière-plan, des personnes en maillot de bain semblent ne même pas le voir, continuant leurs activités comme si de rien n’était. On pourrait certainement dire beaucoup de chose de cette photo, rappeler une fois de plus qu’il nous manque des éléments, que le cadrage n’est pas neutre, mais il n’empêche que cette photo interpelle.


Ronny Trocker, dans son court métrage, décide ainsi de s’intéresser à ce qui n’est pas présent sur la photographie par le biais du point de vue du naufragé, un peu comme si celui-ci explorait lui-même le hors champ, car les personnages extérieurs sont figés ! Il est le seul à se mouvoir, et à observer ce qui l’entoure ! Techniquement, c’est intéressant : Ronny Stocker a utilisé une soixantaine d’appareils photos se déclenchant instantanément pour modéliser ses personnages qui sont ainsi placés sur la plage, figés certes, mais avec un rendu impressionnant. D’autant plus qu’il y a un travail remarquable sur les sons choisis pour animer les vues ou les personnages sont immobiles.


Et avec ce procédé, le réalisateur prend le temps de saisir les sentiments et réalités qui doivent submerger le rescapé sauvé des eaux (par lui-même, car d’autres ne sont plus en vie) : un soulagement, probablement, de la soif, de la faim, des difficultés à se mouvoir, la découverte d’un nouveau monde, des châteaux de sable, des gens en maillots largement indifférents, puis des secouristes qui mettent des gants, et des policiers armés qui portent des masques… Le soulagement, l’étonnement, puis la peur… Entre autres. C’est peut-être idiot, mais j’ai pensé à Monstres et Compagnie (désolé pour la référence), où les monstres ne peuvent supporter le moindre contact avec un enfant, qui pourrait les contaminer. On n’en est pas loin ici, avec les représentants de l’autorité qui semblent vouloir d’abord se protéger de cet homme, manifestement perçu comme un danger.


J’ai cru un moment que le titre du film, estate, faisait référence à l’Etat. C’aurait pu être une interprétation possible, même s’il semble que le titre veuille plutôt dire « été » en italien, ce qui est plus prosaïque. J’aime bien l’idée que le rescapé soit entré sur le territoire d’un Etat, c’est-à-dire un espace délimité par ses frontières, comprenant des règles, des habitants, des coutumes, un espace qui se voudrait imperméable à certains hommes, jaloux de ses privilèges, et qui organise ainsi la répression à l’égard de ceux qui osent braver l’interdiction de pénétrer sur ses terres ; un Etat qui ne serait donc en quelque sorte que le défenseur d’hommes et de femmes privilégiés, jaloux de ce privilège, même si on voit dans le film que les individus peuvent adopter des attitudes variées (aide, voyeurisme, indifférence, répression, entre autres).


Bref, un film original sur le plan technique et qui a le mérite de nous mettre dans la peau de cet Africain, survivant d’un naufrage, et dont le premier contact avec les Européens se fait ici dans le cadre d’un espace touristique, manifestant ainsi les contrastes entre deux mondes séparés par la Méditerranée, tombeau de trop nombreuses espérances.


Le film est à voir sur arte +7 :
http://cinema.arte.tv/fr/estate

socrate
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le 20 mai 2016

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socrate

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