Il est une critique très difficile que celle de ce film. Trần Anh Hùng utilise un nouveau langage cinématographique dont les premiers jets étaient ceux de Terrence Malick dans sa trilogie sur « la quête du sens de la vie ».
Pendant les deux heures de film, le spectateur contemple sans n'être jamais réellement invité à entrer dans le film. Tout est très pudique, sans jamais jouer avec les larmes du spectateur. Cependant, ce dernier éprouve tout de même des sensations diverses, des sentiments, tous assez proche de la mélancolie.
L’histoire raconte une toute petite partie de l'Éternité, une toute petite partie d'une généalogie. Le réalisateur ne fait qu’effleurer la vie de trois générations de femmes. Néanmoins, le but de Trần Anh Hùng était d'être le plus fidèle possible à l'écriture d'Alice Ferney dont il adapte l'excellent ouvrage, à l'écriture si particulière : L’Élégance des veuves. Ce livre réputé inadaptable est, peut être, finalement l'une des adaptions les plus fidèles au cinéma d'un roman. Le livre est déjà très contemplatif ; empli d'une grande mélancolie, avec la présence de la mort dans presque toutes les pages et de brefs moments de bonheur partagés. Dans Éternité, il est de même, si ce n'est que le travail visuel (plus qu'audio) fait briller cette histoire comme figée dans l'histoire.
La sensualité des corps dans l'espace est parfaitement chorégraphiée par le réalisateur. Les destin de cette famille est écrit, rien n'est pris sur le vif. Le réalisateur ne fait que capter les moments dramatiques et joyeux de ces courtes vies. La lumière, est très chaude et très présente. Elle est loin d'être négligée. Ainsi, un rayon de lumière vient même éclairer des œufs dans le poulailler du domaine pour les mettre en valeur. Chaque plan est mûrement réfléchi et c'est visuellement très agréable. La lumière est à mi-chemin entre les tableaux impressionnistes de Gustave Caillebotte, Berthe Morisot ou encore Auguste Renoir. Trần Anh Hùng a un grand sens de l’esthétique mais toutes ces qualités artistiques ne font pas l'entièreté d'un film.
Ainsi la candeur des acteurs ressort très bien, d'autant qu'ils ne parlent pas. Mais le son semble délaissé au profit d'une musique très présente -sans que cela ne fasse clip grâce à la voix off assez présente. L bande annonce laissait imaginer un film dense, riche et rebondissement, et intense. Il n'en n'est rien puisque tout s'étire dans le temps pour créer une douce langueur. La promotion du film ventait aussi le talent de ses acteurs. En effet, le casting est surprenant, la présence scénique de ces têtes d'affiches confirme leur très bon jeu d'acteurs. Malheureusement, leur présence est comparable à celle des images dans les livres pour enfants.
Tout est lissé, même la mort est idéalisé. Il est beau de souffrir dans ce film. Cela n'est pas pour déplaire, mais l'auteur d’À la verticale de l'été prend le risque de perdre bon nombre de spectateurs dans le but d'adapter la plume, plus que l'esprit d'Alice Ferney. Néanmoins son objectif est réussit, quand bien même il semble loin de faire l'unanimité. Ce film est une expérience sensuelle, un rêve d'ennui délicieux. Trần Anh Hùng veut « jouer plus sur la sensation plus que sur la narration bien que cela puisse déstabiliser » selon ses dires. Le spectateur assiste à une fresque hors du temps ou plutôt gravée de manière éternelle dans le marbre figé.
Un film soigné, lumineux, lyrique et onirique qui rend hommage à la souffrance des femmes sans trahir l’œuvre dont il s'inspire. Le film comporte quelques longueurs, et mériterait un montage légèrement plus resserré. Bien que la construction soit intéressante, elle permet difficilement de se sentir proche des personnages et de leur douleur. Un véritable tableau impressionniste vivant, lentement. Une belle expérience, un voyage dans son propre intérieur.