Ce film de 1928 satisfait un fantasme cinéphile et historique personnel, en montrant dans sa plus totale simplicité documentaire la vie à une époque largement révolue — en l'occurrence Paris au début du XXe siècle. Dans la lignée de ces films antiques qui n'abordaient pas la question du documentaire de manière parfaitement consciente, du moins pas avec le recul que le registre a gagné au cours du siècle, un peu à l'image du court-métrage A Trip Down Market Street Before the Fire (lien pour les curieux) montrant l'activité d'une grande rue de San Francisco en 1906, Études sur Paris rejoint inconsciemment ce mouvement cinématographique en gestation, constitutif des symphonies urbaines de la période. La plus célèbre étant sans doute Berlin, symphonie d'une grande ville de Walter Ruttmann datant de 1927.
Cette vision à la fois très prosaïque (vision de l'époque) et très poétique (vision contemporaine) est le résultat du travail d'André Sauvage, un artiste multidisciplinaire dont l'œuvre reste largement méconnue, détruite ou encore à découvrir. Son style rappelle celui de Jean Vigo, notamment, et ce dernier n'a sans doute pas été insensible au charme de ce portrait fragmenté en cinq parties : Paris-Port, Nord-Sud, Iles de Paris, Petite Ceinture, et De la Tour Saint-Jacques à la Montagne Sainte-Geneviève. 80 minutes de divagations multiples, pour révéler les multiples visages de la capitale des années 1920 quartiers après quartiers. Le regard est résolument contemplatif, et en ce sens extrêmement avant-gardiste pour l'époque : la première partie montrant l'arrivée en péniche par les canaux qui rejoignent la Seine est d'une beauté sidérante, nimbé d'une douceur presque féerique. Impossible d'oublier ce passage entre deux mondes ou presque, à travers les tunnels percés par des puits de lumière.
André Sauvage parcourt toutes les rues, les grandes avenues et les petites ruelles, il scrute les bords de cours d'eau, capte le quotidien des parisiens partagés entre travail et loisir, jette un regard sur les grands monuments autant que sur les lieux plus communs remplis de passants, et immortalise ainsi un instantané dont la valeur historique est immense (pour qui se complaît dans ce voyage temporel, bien sûr). La foule est changeante entre les oisifs et les ouvriers, entre ceux qui se promènent et ceux qui charbonnent, les chevaux coexistent avec les voitures sur les routes, en plongée au cœur d'une mutation. Il y a les peintres, les pêcheurs, les enfants, les industries, les canaux et leurs écluses, les gestes des travailleurs, ceux des amoureux, et tout ce qui contribue au bouillonnement d'une ville capturée dans un moment révolu intensément captivant.
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