Le final de la trilogie "Europe" : entre ego-trip et Histoire romancée
En-dehors de l’intermède du Dogme 95 (dont Les Idiots est la pierre angulaire avec Festen de Virtenberg), Lars Von Trier s’affirme généralement comme un formaliste raffiné et expérimental, loin des postures random parfois affichées. La trilogie de l’Europe au début de sa carrière en atteste déjà. Après Element of Crime puis Epidemic, Europa referme cette trilogie en montra une Allemagne d’après-guerre au bord du gouffre, dominée par ses névroses collectives et son passé tourmenté.
Tout en s’appuyant sur un modèle traditionnel, mais une tradition ancienne, consommée (l’expressionnisme allemand), Europa n’est classiciste que de loin. Ou alors d’un classicisme déviant, où la pose pimpante se laisse contaminer par la dangereuse liberté d’un midnight movie dépressif. S’il est l’un des opus les plus respectés et les plus intelligents de Lars Von Trier, Europa est aussi une épreuve pénible. Regarder Europa, c’est contempler un cadavre récalcitrant ausculté sous tous les angles, en se déplaçant à l’intérieur d’une salle d’autopsie sans issues.
Le mysticisme omniprésent d’Europa fait le pont entre Epidemic et Antichrist. Lars Von Trier donne une vision très personnelle du rapport à la norme communautaire en général et au fascisme de son Europe fantasmée en particulier. Les personnages de son film tendent tous à être non-polarisés dans leur for intérieur, mais ils vont devoir choisir, intégrer un rôle social et adopter un camp. Il faut se sacrifier à l’objectivité, en gommant nos nuances et bradant notre caractère pour des postures collectives ; la liberté c’est celle de choisir dans quel cadre on en jouit, en sachant que ce cadre autoritaire canalise les passions avec rigidité.
Lars Von Trier exprime toute son ambivalence et sa réflexion sur des thèmes et fétiches sulfureux, raisonne en mélancolique, mais en mélancolique instinctif, trouvant ou fabriquant des modèles pour s’épanouir. Ses héros intègrent comme lui la violence, soulagement ou échappatoire bien sûr, mais aussi mode d’expression voir d’accomplissement. Le climat général du film est d’autant plus étrange qu’il gomme les frontières entre l’ego-trip et l’Histoire romancée. Le choc esthétique est conforme à cette nature ; Lars filme presque intégralement en noir et blanc, le langage est symbolique et le chemin irrationnel, les surimpressions abondantes.
À la photo, Europa profite de la contribution de Henning Bendsten, qui a travaillé avec Dreyer au cours de sa longue carrière. Le film est récompensé par le Grand Prix technique à Cannes en 1991. Les amateurs de pellicules aux images somptueuses et visionnaires pourront également se tourner vers Medea, réalisé par Lars pour la télévision trois ans auparavant. Pour l’anecdote, Lars Von Trier apparaît dans un rôle très secondaire où il incarne un juif, seize ans avant d’apprendre ses origines hébraïques.
http://zogarok.wordpress.com/2014/11/24/europa/