Europa
7.2
Europa

Film de Lars von Trier (1991)

Le final de la trilogie "Europe" : entre ego-trip et Histoire romancée

En-dehors de l’intermède du Dogme 95 (dont Les Idiots est la pierre angulaire avec Festen de Virtenberg), Lars Von Trier s’affirme généralement comme un formaliste raffiné et expérimental, loin des postures random parfois affichées. La trilogie de l’Europe au début de sa carrière en atteste déjà. Après Element of Crime puis Epidemic, Europa referme cette trilogie en montra une Allemagne d’après-guerre au bord du gouffre, dominée par ses névroses collectives et son passé tourmenté.

Tout en s’appuyant sur un modèle traditionnel, mais une tradition ancienne, consommée (l’expressionnisme allemand), Europa n’est classiciste que de loin. Ou alors d’un classicisme déviant, où la pose pimpante se laisse contaminer par la dangereuse liberté d’un midnight movie dépressif. S’il est l’un des opus les plus respectés et les plus intelligents de Lars Von Trier, Europa est aussi une épreuve pénible. Regarder Europa, c’est contempler un cadavre récalcitrant ausculté sous tous les angles, en se déplaçant à l’intérieur d’une salle d’autopsie sans issues.

Le mysticisme omniprésent d’Europa fait le pont entre Epidemic et Antichrist. Lars Von Trier donne une vision très personnelle du rapport à la norme communautaire en général et au fascisme de son Europe fantasmée en particulier. Les personnages de son film tendent tous à être non-polarisés dans leur for intérieur, mais ils vont devoir choisir, intégrer un rôle social et adopter un camp. Il faut se sacrifier à l’objectivité, en gommant nos nuances et bradant notre caractère pour des postures collectives ; la liberté c’est celle de choisir dans quel cadre on en jouit, en sachant que ce cadre autoritaire canalise les passions avec rigidité.

Lars Von Trier exprime toute son ambivalence et sa réflexion sur des thèmes et fétiches sulfureux, raisonne en mélancolique, mais en mélancolique instinctif, trouvant ou fabriquant des modèles pour s’épanouir. Ses héros intègrent comme lui la violence, soulagement ou échappatoire bien sûr, mais aussi mode d’expression voir d’accomplissement. Le climat général du film est d’autant plus étrange qu’il gomme les frontières entre l’ego-trip et l’Histoire romancée. Le choc esthétique est conforme à cette nature ; Lars filme presque intégralement en noir et blanc, le langage est symbolique et le chemin irrationnel, les surimpressions abondantes.

À la photo, Europa profite de la contribution de Henning Bendsten, qui a travaillé avec Dreyer au cours de sa longue carrière. Le film est récompensé par le Grand Prix technique à Cannes en 1991. Les amateurs de pellicules aux images somptueuses et visionnaires pourront également se tourner vers Medea, réalisé par Lars pour la télévision trois ans auparavant. Pour l’anecdote, Lars Von Trier apparaît dans un rôle très secondaire où il incarne un juif, seize ans avant d’apprendre ses origines hébraïques.

http://zogarok.wordpress.com/2014/11/24/europa/
Zogarok

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

9

D'autres avis sur Europa

Europa
HugoLRD
10

La première merveille de Lars

Element of Crime, à la fois expérimental et mature, donnait le ton. Epidemic, encore plus expérimental, décevait un peu. Mais Europa, troisième film de Lars von Trier, arrive comme la preuve...

le 27 janv. 2014

22 j'aime

3

Europa
Zogarok
7

Le final de la trilogie "Europe" : entre ego-trip et Histoire romancée

En-dehors de l’intermède du Dogme 95 (dont Les Idiots est la pierre angulaire avec Festen de Virtenberg), Lars Von Trier s’affirme généralement comme un formaliste raffiné et expérimental, loin des...

le 24 nov. 2014

9 j'aime

Europa
Ravachol
9

Critique de Europa par Ravachol

J’ai eu la chance de voir ce film à sa sortie en 91, au cinéma donc. Dés la fin du prologue, j’ai pensé, voilà ce que j’attends du cinéma et rien d’autre. Un long travelling au-dessus d’une voie...

le 31 déc. 2014

6 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2