Deux ans après les interrogations rapportées et soulevées dans "Les 11 Fioretti de François d'Assise", Rossellini travaille une veine sensiblement similaire en transposant la figure du religieux catholique en celle d'une jeune femme issue de la bourgeoisie italienne (Ingrid Bergman doublée en italien, ça ne rend pas le visionnage très agréable malheureusement) découvrant la vanité de son existence à la suite d'une tentative de suicide de son enfant. Sans rien savoir du film, on peut sentir une certaine insistance dans le portrait qui est fait d'elle en introduction, toujours occupée, très peu à l'écoute de son fils et entièrement dédiée à la réception mondaine de ses amis fortunés comme elle. Le drame à suivre, conjugué à la visite des quartiers pauvres de la ville en compagnie d'une connaissance communiste — confrontation bouleversante à la misère et à la souffrance des autres après des années de cécité, donc — paraît dans cette optique-là un peu épais. Ce n'est pas dans ce sursaut de conscience et de responsabilité que "Europe 51" brille, malgré le tableau présenté de la société d'après-guerre qui reste toujours a minima intéressant.


Le gros morceau du film se situe dans le second temps, lorsque la protagoniste s'est en quelque sorte convertie (mais en dehors des chemins chrétiens préconisés par l'église, c'est bien là le drame pour l'institution) et quitte l'ornière d'une vie "normale", délaisse son mari et sa famille pour s'adonner à une mission sociale au chevet des gens les plus démunis et parfois mourant. Rossellini s'intéresse ici à la révélation de cette femme, très intime et personnelle, en tant qu'elle s'oppose frontalement à tous les corps de l'institution : policier, légal, religieux, familial, etc.


J'apprécie le geste. L'évacuation de toute émanation politique ou religieuse dans le bouleversement (pourtant franchement proche du mystique) au plus profond de Bergman, qui chatouille la fibre humaniste. Rossellini se fait presque comique par moments, lorsque son entourage s'inquiète d'une éventuelle emprise communiste, mais aussi franchement dramatique lorsque l'incompréhension de son comportement la conduit droit à l'internement en hôpital psychiatrique, avec la complicité de ses proches. Du point de vue de la fiction purement, j'ai un peu de mal avec l'unilatéralité de la confrontation, personne ne se montrant capable de faire la distinction entre folie et empathie extrême. La notion de sainteté, aussi, suggérée pendant un long moment et concrétisée par le tout dernier plan, ne m'intéresse pas vraiment — sous certains aspects, notamment l'interrogatoire, on pense à une Jeanne d'Arc en procès. Le jeu des oppositions entre riches et pauvres, spirituels et matérialistes, généreux et égoïstes, dépeint un monde post-guerre plongé dans le désespoir que seuls quelques âmes veulent bien regarder en face.

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le 8 juil. 2021

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Morrinson

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