Balade dans les tombes

Persuadée que leur nouveau-né est la proie d'une entité surnaturelle, une riche famille d'expatriés sud-coréens à Los Angeles fait appel à Lee Hwa-rim, une chamane, et à son équipier Yoon Bong-gil pour régler le problème. Décelant un lien avec le défunt grand-père du jeune père enterré en Corée du Sud, la chamane demande à son vieil ami Kim Sang-deok, géomantien (spécialiste du feng shui post-mortem) et à Yeong-geun, son collègue croque-mort, de leur venir en aide. Sur les lieux, tous vont découvrir un mal qui va mettre leurs compétences à rude épreuve...

Quand le cinéma sud-coréen ne cesse de nous surprendre ! Certes, avec ses nombreux personnages à présenter (experts et membres de la famille victime compris), l'introduction de "Exhuma" prend le risque de perdre un peu le spectateur avec tous ces visages introduits dans le feu de l'action des prémices de la découverte de la menace qui pèse sur leurs épaules mais, passé cette légère appréhension, le film devient très vite une espèce de modèle de thriller d'épouvante où, encore une fois, le mélange des registres désormais indissociable de ce cinéma fait des merveilles pour accrocher le spectateur et ne plus jamais le lâcher.

Non seulement par la force en elle-même de son quator d'experts, attachants en un clin d'oeil par leurs penchants si humains (ils n'oublient par exemple jamais de parler du magot que peut leur rapporter une telle affaire) dans un quotidien où ils semblent paradoxalement sans cesse se confronter à des choses dépassant l'entendement (et les comédiens sont parfaits à ce jeu), mais aussi par le danger auquel ils se confrontent aujourd'hui, créant chez eux un vrai sentiment d'angoisse, visiblement inédit, qui ne peut que pétrifier à son tour un spectateur bien moins connaisseur qu'eux en leurs domaines respectifs.

Ajoutez à cela la superbe atmosphère de ténèbres grandissantes diffusée par la mise en scène de Jang Jae-hyun, que ce soit par la découverte des lieux de la tombe vedette (on aura rarement vu des décors sylvestres aussi austères), les rituels étranges nous entraînant irrémédiablement dans la même transe que son actrice principale Kim Go-eun ou encore les manifestations imprégnées d'une haine irrationnelle, presque palpable, d'un esprit bien décidé à ne plus quitter "notre lumière", et vous obtiendrez une première partie de film qui ne cesse d'aller crescendo dans l'exploration de son mystère, pourtant pas si original sur le papier mais véritablement transcendé par le folklore local enterré qu'il soulève avec lui.

Mais ce n'est pas tout, "Exhuma", va même réussir à mi-parcours à repartir dans une direction bien plus énigmatique, tout bonnement fascinante grâce à l'inattendu qu'elle met en scène, creusant toujours plus une mythologie insoupçonnée et corrélée à des rivalités ancestrales plutôt bien pensées (on y revient dans quelques lignes). C'est bien simple, "Exhuma" nous scotche par la tourmente extraordinaire dans laquelle ses protagonistes sont pris au piège face à cette chose qui les réduit au rang d'insectes et pour laquelle ils paraissent pour la première fois de leur carrière collective ne trouver aucun échappatoire.

La résolution imaginée en ce sens sera d'ailleurs peut-être la partie la moins forte du film mais le lien désormais indéfectible qui unit ces héros hors du commun des mortels nous donne indéniablement d'en voir plus, à travers, qui sait, un nouveau phénomène à affronter encore plus périlleux (ce sera dur mais pas impossible vu les talents en oeuvre).

En parallèle de ce concert de louanges bien mérité, on doit tout de même préciser que "Exhuma" est un long-métrage complètement imbibé de culture sud-coréenne, à une dose qui pourrait peut-être rebuter une partie du public occidental.

D'un côté, par les points sociologiques que l'on évoquait avec cette critique à peine voilée envers une caste aisée sud-coréenne dévoyée par l'Occident et l'éternel ennemi nippon (notons tout de même que "Exhuma" se montre bien plus malin que certains pour exhumer et utiliser des sujets tabous historiques à travers son récit et, parfois, nuancer ce qui aurait pu vite devenir de trop flagrants élans nationalistes) et, de l'autre, son fort ancrage dans le folklore de la région avec la mentions de noms et croyances pouvant demander un petit surplus de connaissances sur la question (personnellement, j'avoue remercier la personne ayant élaboré les sous-titres de la version à laquelle j'ai pu assister, ils étaient de dotés de quelques notes explicatives pertinentes sur des termes employés).

Bon, rassurez-vous, pas de quoi amenuiser la force de frappe de ce "Exhuma" (au premier degré et avec l'attention requise, on pense qu'il fera sacrément son effet, quelque soit votre bagage culturel sur la Corée du Sud) et, dans tous les cas, vous laissera encore une fois admiratifs de son cinéma, un des seuls qui semblent encore capables de toutes les folies possibles. Déterrez vite "Exhuma", il mérite vraiment de découvrir ce qui se cache à l'intérieur de sa tombe.