Sabordé d’entrée par la stupidité de nos distributeurs déféqueurs d’anglicismes accrocheurs, Eyes of war est censé traduire « Triage » en français.
Ce bon petit film belgo-irlando-français met en avant la mutilation de conscience qu’un photographe peut s’auto-appliquer. S’extraire de la réalité en se cachant derrière son objectif, se mentir intimement en se persuadant d’être aussi dissocié de la vie que son objectif froid et sans état d’âme, est une stratégie patho-psychologique destinée à poursuivre son excellence professionnelle, à satisfaire sa voracité lucrative, et surtout à perdre tout sens moral, pour éviter de devenir fou quand on passe sa vie en enregistrer de l’horreur.
Deux amis et photographes de guerre, habitués à engranger les carnages sur pellicules, s’apprêtent à quitter les missiles, les boucheries et les embuscades du Kurdistan et aller vendre leurs trésors morbides aux journaux anglais. Mais, dans un triste état, un seul d’entre eux rentre à bon port. Nous laissant imaginer le comportement d’un photographe amoral et cupide, cette aventure, aux intrigues et dénouements peut-être un peu trop attendus et sentimentalistes, nous présente ici celui d’un homme de cœur, ami et amant loyal, témoin récent de l’abomination pragmatique et glacée d’un village de triage, c'est-à-dire où l’un des rôles du médecin consiste à sélectionner les blessés dignes d’être soignés et ceux qu’il devra euthanasier lui-même. Voyeurisme, horreur, école crue et adaptative du dénuement du recul et du bon sens, notre héros regagne l’hypocrisie civilisée, en ayant pris soin d’enfermer dans un cachot mental, artificiel et coupable, une expérience qui cette fois ne se résignera pas à rester bien sagement enfermée.