J'ai du mal à saisir comment ce film peut avoir une telle moyenne. Que Torpenn lui mette 3, pourquoi pas, c'est dans ses habitudes de marquer le pas, la sanction et le coup de fouet, mais quand je vois un tel manque d'enthousiasme global, je m'interroge sur ma santé mentale.
Flute.
Piano.
Fortissimo.
Fidelio.
C'est pratique d'être fou, on peut écrire n'importe quoi, on peut glisser que Eyes Wide Shut a presque failli passer devant Orange Mécanique tellement je l'ai aimé. On peut confier en quelques mots que malgré un Tom Cruise qui ne brille pas de la lumière divine, j'ai été continuellement happé par cette caméra par moments intrusive, à d'autres composant de magnifiques tableaux.
Eyes Wide Shut, comme tous les bons films, c'est une ambiance avant d'être un scénario, c'est une musique parfaitement maitrisée qui va de pair avec ce poids de plomb qui vous empêche de respirer convenablement tandis que Bill tente d'ouvrir peu à peu les yeux.
Quelqu'un demande quelle est l'histoire ? Bon si je vous résume ça pour vous appâter un peu voilà ce que ça donne : un jeune couple, un docteur, Bill, et une ancienne manager d'une galerie d'art, Alice, réussissent bien leur vie à New York city après 9 ans de mariage. C'est Noël et les voilà invités à une soirée par un des patients de Bill, un de ces grands galas où ils ne connaissent personne. Alice boit trop de champagne, Bill voit une jeune femme presque mourir d'overdose avec le maître de maison, on échange des regards langoureux, pleins de passion. Alice se languit, elle est fidèle mais elle veut quelque chose en plus, Bill est foutrement trop naïf et romantique.
C'est là que les choses deviennent passionnantes.
Alice va donc d'un rire et de quelques mots faire voler en éclats les certitudes de son mari, le reste du film le voit donc à chercher une bouée de sauvetage, à tenter de se reconstruire lui et ses convictions, à se frotter à des gens et des lieux auxquels il ne devrait pas se frotter, le tout hanté par le doute, l'incertitude, le désir sexuel.
Par-ce-que vous voyez, ce bon docteur Bill Harford est presque un enfant en début de film, il suit alors ce parcours initiatique qui commence par le rabaissement, l'émiettement et après l'apprentissage progressif de la vie. On le sent rongé par un désir d'élévation sociale à travers ses relations avec l'homme qui l'invite au bal, par rapport à son manque d'assurance. Et quand sa femme le fait douter, il n'a plus rien à quoi se raccrocher, aucun garde fou qui lui dirait que Fidelio ne suffira sans doutes pas à lui sauver la mise, que cette gentille jeune fille au double visage (le principe du domino) voit en lui d'avantage un portefeuille qu'un amant.
Pendant la scène du manoir, complètement hors de tout les repères de Bill, dans un contexte de fantasme pur et de costumes, il est toujours sans assurance, noyé, se laissant porter par le courant et les mains graciles d'une jeune femme presque nue, il regarde mais sans toucher, dans une pâtisserie où il salive sans oser rien manger.
Pendant ce temps là le spectateur se régale, non pas du spectacle proposé au docteur, mais bien du tableau qu'il forme lui, son malaise, l'audace qui l'a poussé en avant, le fait qu'il soit perdu, puis toute cette inquiétude et cette tension qui s'accumule !
Jouissance.
Je ne me considère pourtant pas comme malsain.
Et pourtant.
On navigue entre le rêve, le cauchemar, la réalité quotidienne et la réalité irréaliste, le passage de l'un à l'autre de ses thèmes évoquant justement le rêve qui passe de l'apparent réel à l'apparent rêvé, les moments où les faits ne coïncidant pas étant ceux qui dérangent, qui grattent, ceux qui vous font vous demander si vous n'avez pas sauter une étape. Je vous suggère de vous attarder sur le dialogue final pour savourer encore plus.
Préparez les cailloux mais Eyes Wide Shut m'a beaucoup plus séduit dans son approche, son ambiance, sa maitrise de la tension que Mulholland Drive (même si ce dernier reflète mieux l'univers et l'illogisme du rêve). Kidman et Cruise sont tous les deux bons, Cruise réussissant très bien à incarner cette naïveté, cette candeur puis cette gourmandise et la panique, Kidman réussissant la lascivité, l'étincelle dans l'oeil, le dérapage avec merveille.
À noter que ce masque vénitien aux plumes d'autruche était de loin le plus beau de la soirée et que le simple jeu des regards lors de celle-ci vaut son pesant de cacahuètes. Et puis moi j'adore l'idée du masque, puisqu'une fois l'identité caché, il est justement révélateur de ce que sont vraiment les personnes, permettant grâce à la protection de l'anonymat une liberté de jouissance.
Si on en revient au titre, il est descriptif de notre personnage principal en début de film, son regard sur la société, sa femme et lui-même étant faussé, il s'agit désormais pour vous même, à votre tour d'ouvrir les yeux.