On oublie parfois à quel point Naomi Watts est une très grande actrice. Géniale dans Mulholland Drive, parfaite dans King Kong, elle vole ici la vedette à Sean Penn dans Fair Game, le film de Doug Liman sur l'affaire Valerie Plame.

On oublie (et on a eu du mal à s'en rendre compte à l'époque) à quel point cette affaire fut un des plus grands scandales de l'Amérique de Bush. Comment un gouvernement pouvait se permettre de dénoncer ses propres agents secrets, voilà qui était absolument inouï.

Mais en période de guerre, nos consciences s'étiolent. L'Amérique en en Irak, en Afghanistan... Les boys qui reviennent en body bags, et les irakiens qui meurent par dizaines de milliers... On ne va pas s'apitoyer sur une belle blonde qui perd son emploi !

Pourtant, l'affaire Plame reste une ignominie incroyable, même au sein de l'ère Bush. Des gouvernants ont souvent sacrifié leurs serviteurs, mais toujours au nom de la raison d'état, et souvent face à l'ennemi. Mais là, donner le nom d'un agent secret pour discréditer politiquement son mari démocrate, c'est inouï.

Rappelons les faits : le mari de Valerie Plame, Joseph Wilson, ancien ambassadeur des États-Unis, accepte une mission au Niger. Objectif : trouver les preuves d'un trafic de Yellowcake, un composant des bombes nucléaires. Il revient sans ces preuves, et la CIA fait son travail : elle le dit dans son rapport à l'administration Bush.

Mais celle-ci a tellement besoin d'une bonne raison d'envahir l'Irak qu'elle passe outre, et profite du caractère secret de ces rapports pour écrire sa propre version dans le discours du Président Bush sur l'état de l'Union, en janvier 2003. Le sénateur Wilson sort de ses gonds. Dans une interview au New York Times, il révèle être l'auteur de l'enquête au Niger, que celle-ci a fait chou-blanc, et donc que l'administration Bush se sert de mauvais prétextes pour envahir l'Irak. Les républicains contre attaquent par un déluge de calomnies, en révélant notamment l'identité de l'épouse de Wilson, Valerie Plame, et sous-entendant qu'elle a intrigué pour que l'on confie cette mission à son mari.

Beaucoup de biopics se sont cassés les dents sur ce genre de sujet, soit parce qu'ils étaient trop empathiques avec leur(s) sujet(s), soit parce qu'ils étaient lourdement démonstratifs. La force de Fair Game, c'est d'éviter ces deux écueils ; d'être submergé par une dramaturgie trop lourde, et d'éviter une empathie lourdingue en ayant deux comédiens subtils à sa disposition. Penn et Watts sont plein de légèreté, de finesse, ils ne sont pas parfaits (elle est engluée dans son respect de la parole donnée, il est incapable de faire des compromis), mais ils incarnent tous les deux cet idéal américain, pétri de patriotisme et de valeurs familiales, cette sainte horreur du mensonge.

Mais ils arrivent aussi à incarner une idée : la conviction américaine très forte : la Démocratie est l'œuvre de tous, et pas seulement des dirigeants, ou de l'opposition. Pour le rappeler, un très beau plan circulaire sur Sean Penn à bout de nerfs sortant d'un taxi, se termine sur le Sénat. The House on the Hill, cette Jérusalem céleste que les colons s'étaient jurés de ne pas bâtir au ciel, mais bien ici et maintenant, sur ce nouveau monde dont ils prenaient possession.

ludovico
8
Écrit par

Créée

le 19 janv. 2012

Critique lue 530 fois

2 j'aime

ludovico

Écrit par

Critique lue 530 fois

2

D'autres avis sur Fair Game

Fair Game
Julien82
5

Critique de Fair Game par Julien82

S'armant d'un casting solide (Watts, Penn), Fair Game n'est pas désagréable à suivre. Simplement l'intérêt d'un film dossier réside dans sa capacité à nous apprendre des choses sur le sujet traité...

le 18 mars 2011

3 j'aime

5

Fair Game
estonius
6

Ça manque un peu de punch quand même

Un thriller politique très intéressant sur une affaire peu connue en France, on apprend donc des choses vraiment peu reluisantes sur l'administration Georges W. Busch. L'interprétation est...

le 10 oct. 2019

2 j'aime

Fair Game
ludovico
8

léger et fin

On oublie parfois à quel point Naomi Watts est une très grande actrice. Géniale dans Mulholland Drive, parfaite dans King Kong, elle vole ici la vedette à Sean Penn dans Fair Game, le film de Doug...

le 19 janv. 2012

2 j'aime

Du même critique

Shining
ludovico
9

Le film SUR Kubrick ?

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette...

le 7 févr. 2011

193 j'aime

86

La Neuvième Porte
ludovico
9

Un film honteusement délaissé...

Un grand film, c’est quoi ? C’est un film qui passe sur NRJ12 (en VF mal doublée), qu’on prend au milieu, et qu’on regarde jusqu’au bout, malgré l’alléchant Mad Men S05e1 qui nous attend sur Canal à...

le 23 janv. 2011

58 j'aime

3

Borgia
ludovico
3

on y a cru pendant vingt secondes, jusqu'au générique...

C'est parti pour la série événement de Canal+. Ils sont forts chez Canal, ils ne font pas de série non-événement ! Mafiosa, Braquo, Borgia : même combat. Pour cette dernière, on y a cru pendant vingt...

le 14 oct. 2011

41 j'aime

14