Adaptation au cinéma de sa propre pièce de théâtre, Faisons un rêve atteste la virtuosité de Sacha Guitry en matière de comédie de mœurs, captant à merveille les palpitations du sentiment dans le corps de bourgeois engoncés dans des costumes qui divulguent mal leur véritable nature ainsi que leurs intentions profondes ; une séquence téléphonique mobilise d’ailleurs la symbolique du vêtement et oppose au veston masculin – signe de réception mondaine – le pyjama, traduction des intentions libidineuses du protagoniste principal. Notons que le libertinage revendiqué, puisque les amants adultérins passent la nuit ensemble et projettent une union concurrentielle, relève d’une audace scandaleuse pour l’époque et place en cela le cinéaste-dramaturge dans une position de contestation de l’ordre moral établi.
La mise en scène commence par revendiquer un dynamisme tout aussi innovant fait de longs plans-séquences, quoiqu’on perçoive ici l’influence esthétique d’un Abel Gance ou d’un Marcel L’Herbier, et inspirera nombre de cinéastes, dont Max Ophüls qui signera quatorze ans plus tard La Ronde, au mouvement porté par le titre ; une telle ouverture rend un vibrant hommage aux comédiens contemporains que la caméra rassemble en sautant d’une table à l’autre. S’affirme ensuite une réalisation qui privilégie le portrait, mimétique des déplacements physiques des personnages, eux-mêmes révélateurs des rapports de pouvoir et des relations amoureuses ; elle laisse le champ libre au texte, superbe, et à la joute verbale qui le compose. Guitry n’a pas son pareil pour retranscrire la lutte entre les sexes et les contradictions inhérentes à chacun, célèbre la rhétorique intéressée des hommes et l’intelligence des femmes qui voient clair dans le jeu des premiers mais y tirent séduction, satisfaction et valeur. Une œuvre brillante.