Réflexion et démonstration
Je pensais aller voir un bête docu sur le street art. J'avais vaguement vu la bande-annonce, "allez hop, viens mon gars! (je m'appelle "mon gars", ouais) Ignare que tu es, ca ne te fera pas de mal de te cultiver un peu sur le sujet". J'étais loin de me douter à quel point ce film allait m'intéresser.
Alors bon, j'ai écris une première version de cette critique à chaud, juste en rentrant du ciné il y a un mois. L'occasion pour moi de réfléchir un peu à ce que j'avais vu, et me laissant entrevoir seulement à la fin ce qu'était réellement "Faites le mur".
Cette première version, on va l'appeler "critique au premier degré", et je vous la laisse texto ici. Elle supporte l'idée que c'est bien au "second degré" qu'il faut voir le film, et c'est à cette partie que je m'attèle maintenant, et à sa discussion.
- Première critique, premier degré:
Bon déjà, la bande annonce est un mensonge. Des altercations avec les flics, un montage dynamique, sur une musique boum-boum à la GTA, non vraiment, à aucun moment. Le titre également (en tout cas la traduction francaise) n'a aucun sens, de même que le synopsis qu'on peut lire sur allociné: le street art n'est pas le thème central du film.
Le thème central, c'est celui qui tient la caméra pendant la première moitié du film. Cette première moitié parle de deux choses:
- De street art. On voit à l'oeuvre des artistes de rue désormais mondialement célèbres: Invader (qui fait les mosaïques que tout le monde connais), Obey (Obama), Banksy etc... qui cherchent leur spots, préparent leur prochains pochoirs ou images, découpent, et la nuit grimpent, taggent et peignent un peu partout, sur les toits et les endroits inaccessibles dont on se demande tous comment quelqu'un à pu y faire quoi que ce soit d'autre que se casser la gueule. C'est la partie réellement intéressante du film à mon gout, ou du moins celle que j'attendais en allant le voir: l'accès à des images de l'action authentiques d'artistes modernes qui, passionnés et désintéressés, réalisent des oeuvres impressionnantes de manière parfois impressionnantes, dans une mentalité de partage et d'ouverture, aux antipodes du coté exclusif de l'art contemporain bourgeois (on verra qu'à terme y a une certaine porosité entre les deux). Et la collection d'images à disposition pour la réalisation de cette première partie est COLOSSALE, et nous amène au deuxieme sujet traité par cette partie:
-Thierry Guetta, le caméraman, qui par passion et aussi un peu par obsession filme tout, tout, tout, pendant environ 8 ans! Et pendant 8 ans il suit les street-artists sus-cités dans leurs préparatifs et excursions nocturnes et... et il parle beaucoup. De lui, de comment pourquoi lui il faisait ca. Avec son look de directeur du cirque Pinder et ses phrases toutes faites, il prend vite la place, et devient assez vite agacant. Gentil. Mais agacant. Mais ca passe encore, car finalement autant savoir par quel oeil on est en train de voir le street-art en expansion.
Ca devient dommage dans la seconde partie du film. Le personnage de Thierry (définitivement cinglé et carrément chanceux) éclipse complètement le thème du street art, et c'est désormais son histoire d'imposteur du street art, sous le pseudo "Mr. BrainWash", que l'on suit. Sans en dire plus, pour ne pas vous spoiler, on découvre le personnage détestable que l'on suspectait dans la premiere partie, et un certain coté revanchard de Branksy qui déboulonne à demi-mot son ex-partenaire, bien à l'abri derrière son banc de montage. Jamais il ne s'expose. Par exemple, quels rapports entretien-t-il avec le marché juteux de l'art contemporain qui s'arrache les créations qu'il laisse dans la rue? N'est-il pas, au même titre que MBW, une machine à fric qui ne garde de contestataire et d'authentique que son passé de pionnier d'un art désormais assimilé par l'establishment de l'art contemporain et qui fonctionne suivant ses lois (buzz, hype, fric)?
S'il est clean avec tout ca, alors oui, il dénonce des dérives, des impostures. Il appelle à la sobriété, à la recherche personnelle. Bien. S'il est clean avec tout ca... Ce dont je doute.
Le doute...
Il me prend, le doute... Si j'en viens à me dire ca après à peine 10 minutes passées à réfléchir au film, alors que c'est Banksy lui même qui est au commande, c'est que je dois faire erreur. Ce type est bien trop malin pour se compromettre ainsi. Sans être malin, il n'a pas l'air suffisamment stupide pour faire un film seulement pour se "venger" de ce nigaud de MBW. Même sans bien connaitre son oeuvre, ca n'a pas l'air d'être le genre de la maison... Et la remise en question commence:
- Deuxième critique, second degré:
La remise en question, celle que j'aurais du faire en regardant le film (mais je n'ai sans doute pas le QI d'un Pingolin :) ), est celle du format dans lequel se présente le film : un documentaire.
Bêtement sans doute, je n'ai à aucun moment imaginé qu'il puisse en être autrement. Le style, les interviews, la narration, certains bouts réels de docu au début, et de multiples artifices propres au genre m'ont complètement fait tomber dans le panneau.
Quand on y réfléchit à froid pourtant, tout s'écroule: cette histoire n'est pas plausible un seul instant. Une telle nouille (MBW) ne réussirait jamais ce qu'il entreprend dans le film tout seul. Comment d'ailleurs aurait-il pu devenir un pote de Banksy ? Que de coïncidences troublantes dans leur rencontre, trop, beaucoup trop pour être crues! L'histoire fourmille d'invraisemblances et de coïncidences trop improbables. C'est gros, tellement gros!
Et comme par magie on retombe sur l'adage chiraquien "Plus c'est gros, mieux ca passe."
Un fois qu'on réalise ca (et qu'il n'est pas 2h du mat'), on requestionne le film.
-Techniquement d'abord, comment monter un truc pareil, qui brasse tant de fric, et qui dure encore, sans que ca ne fuite?
Le film fonctionne en vase clos (une douzaine de personnes max) du début à la fin. Il pourrait effectivement ne s'agir que de l'oeuvre des quelques street artists suivis durant la première moitié du film, et de Thierry Guetta, faux demeuré qui tient parfaitement son rôle. Mais un rôle qu'il doit porter en public depuis maintenant 3 ans! Car elle date cette expo à Los Angeles, et ca continue encore aujourd'hui. Chapeau.
-Les motivations d'une telle entreprise ensuite. Quelles sont elles? Gagner de l'argent? Peut-être... Il font un max de blé en un minimum de temps: plus d'un millions de dollars en 2 mois seulement, à vendre les merdes de MBW.
Mais ca semble insuffisant... Banksy et ses potes n'ont pas vraiment l'air motivé par l'argent, ni par la célébrité. Alors quoi?
Un truc qu'on percoit un peu, même au premier degré. Un truc sur lequel j'ai vu beaucoup de spectateurs cracher:
Une critique du monde de l'art contemporain.
Il paraitrait que c'est un sujet sur-rebattu, sur-revu. Qu'on tombe dans le cliché du "baaah, c'est que de la merde l'art contemporain, et y a que des connards trop riches pour le faire vivre". A peu près toutes les critiques négatives sur Faites le mur attaquent sous cet angle "de la critique facile et consensuelle" de l'art contemporain et de son marché. Or Faites le mur n'est PAS un critique, ni même une réflexion sur ce sujet.
C'est une démonstration (j'aimerais souligner). La plus insolente et la plus éclatante à ma connaissance et à ce jour.
Banksy et sa bande jouent le jeu du marché de l'art via la vente des cagues industrielles de MBW, et ce pendant un temps assez long. Puis, une fois que des centaines d'acheteurs fortunes, des collectionneurs, des "gens de bon gout" s'en sont procuré, il crève la bulle en sortant le film: ce sont alors tous les acheteurs qui se trouvent compromis, ridiculisés, et dont la valeur des oeuvres acquises est réduite à néant (grande différence avec Andy Warhol qui n'a jamais admis ouvertement faire de la merde). Enfin, ca reste à vérifier...
Plus que supputer de l'existence des mécanismes à l'oeuvre dans le marché de l'art actuel et de rester dans l'éternelle conversation de comptoir, il les révèle de manière absolument indiscutable, et donne une matière tangible d'argumentation à nombre de spectateurs désarmés par ce qui se passe dans leurs musées: Un marché qui n'est d'art que de nom, tournant selon les règles d'une mondanité triviale et dont les goûts sont dictés par la hype. En bref, un art bourgeois et pusillanime, tout juste bon à la compétition des fortunes.
Pour cela, il aura fallu l'idée, le talent, la longue mascarade et l'insolence de Banksy et de ses acolytes. Cette démonstration peut sembler inutile, déjà faite, déjà vue à beaucoup. Comme l'évolution des espèces semblent une évidence depuis Darwin, alors que les premières preuves expérimentales d'un tel phénomène poignent à peine dans les journaux spécialisés. Banksy franchit le pas entre la supposition et la production de preuves concrètes quant au fonctionnement de l'art contemporain, l'art "reconnu", celui qui finit ou finira dans nos musées, et ce d'une manière particulièrement jouissive, impertinente et élégante.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Ciné 2010