Requiem for a screen.
Il fallait bien finir par revenir à Shakespeare, un auteur que Welles n’aura jamais réellement quitté. Mais pour ce dernier tour de piste, le cinéaste rivalise avec le maître, lui empruntant un...
le 31 janv. 2017
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Il fallait bien finir par revenir à Shakespeare, un auteur que Welles n’aura jamais réellement quitté. Mais pour ce dernier tour de piste, le cinéaste rivalise avec le maître, lui empruntant un personnage secondaire et récurrent dont il va faire le protagoniste et, bien entendu, son double.
Falstaff est la quintessence du cinéma et de la construction du personnage selon Welles : c’est un testament rutilant, une aventure épique doublée d’un chant aux poignants accents de requiem.
Le récit aborde avant tout la question de la filiation, à travers la figure d’Harry, qui se voit sommé de choisir entre deux pères : le biologique, un Roi usurpateur qui veut assurer par lui sa lignée, ou l’adoptif, le bouffon Falstaff, compagnon de beuverie et d’aventures picaresques. Le premier veut lui attribuer une fonction, le second, prolonger sa jeunesse à son contact.
La grandeur du récit vient précisément du fait de laisser au personnage éponyme la fonction de rôle secondaire : c’est un mentor, et son omniprésence est indéniable : mais c’est une figure condamnée à rester dans les coulisses de l’Histoire, un compagnon de jeunesse qu’il va falloir abandonner et trahir pour accéder à la grandeur.
Falstaff, c’est la bonté, et son inévitable disparition. « C’est le personnage dans lequel je crois le plus », affirmera Welles. Buveur, mangeur gargantuesque, le personnage est en tout point l’autoportrait du cinéaste : doublé d’une armure faite sur (dé)mesure, l’ogre jovial dévore le monde et le commente de sa voix tonitruante. Rire du bouffon, truculence des beuveries, rutilance des combats assurent le grand spectacle tel que Shakespeare l’a toujours conçu. Falstaff donne à voir les cabarets, les banquets et les danses populaires avec la même verve que celle qui animera Cimino dans son regard sur le peuple sur La Porte du Paradis. La scène de bataille dans la brume, superbe, est une double victoire pour Welles : non seulement, elle prouve qu’il trouve encore les moyens, en dépit de son statut de paria, de filmer des scènes de grande ampleur, mais elle atteste aussi d’un talent qui lui permet de rivaliser avec d’autres grand maitre de l’épique, comme le Kurosawa du Château de l’Araignée notamment. Et de doubler cette grandeur d’un thème cher à Welles, celui de l’imposture : en contrepoint des grands mouvements de foule, le faux combat du pleutre, matamore théâtral par excellence.
Mais la force de Falstaff tient aussi à une nouvelle donne : Welles atteint dans ce film testamentaire une empathie qui lui a souvent fait défaut. Le rire et la complicité du maitre et son disciple sont les préludes à un déploiement émotionnel sans précédent. La scène de reniement, l’insistance sur la métamorphose des visages (Harry, de l’enfance à la dureté du roi, Falstaff, de l’attente au désespoir), le tout dans des lieux à la minéralité superbement mise en valeur comme toujours chez Welles, est un sommet, tant dans le film que dans l’œuvre du cinéaste.
Se lient alors comme les deux brins d’une tresse deux thèmes fondamentaux, qui feront l’obsession de Welles sur ses derniers projets : vérité et mensonge. Falstaff est un vantard, et de ce fait un héros picaresque –un de plus, déclinaison supplémentaire d’un des grands projets abandonnés du cinéaste. Mais c’est aussi le plus authentique de tous, car il a renoncé au pouvoir pour ne se consacrer qu’aux gens qu’il aime.
J’ai du génie, mais j’en donne aux autres, explique-t-il : ce don, cette acceptation de rester à l’écart de la scène qu’est le monde, fait toute la force triste de ce personnage qui mourra de chagrin. Difficile d’imaginer identification plus prégnante pour un des génies les moins prolifiques de l’histoire du cinéma.
(8.5/10)
http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Orson_Welles/1581035
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Créée
le 31 janv. 2017
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