Alors oui, je n’ai absolument rien compris au premier visionnage. Mais n’allez pas croire que cela me pose quelconque problème pour apprécier une oeuvre…
Dans La cravate, Alejandro Jodorowsky n’avait pas encore quitté sa casquette de metteur en scène de théâtre. C’est dans Fando et Lis que l’on assiste à la réelle naissance de Jodorowsky le cinéaste. Ce dernier dit d’ailleurs que c’est son côté adolescent qui a fait ce film, que ce n’était pas un acte lucide mais venu directement de l’inconscient. De cette pureté des intentions teintée d’un fort idéalisme, se dégage un film marqué par des prises de position fortes et de nombreuses expérimentation d’ascendance surréaliste.
Jodorowsky a, sinon sauvé, du moins donné une seconde vie au mouvement. Il ne croyait pas si bien dire lorsque, débarquant pour la première foi à Paris en 1953 à trois heures du matin, il a appelé André Breton en lui disant:
« Je viens du Chili pour sauver le surréalisme. Je suis le plus grand cinéaste surréaliste.
Qu’as-tu fait comme films?
Encore aucun!
Vous voulez me voir?
Immédiatement!
Maintenant non, il est très tard…
Un vrai surréaliste ne se laisse jamais guider par l’horloge. Maintenant!
Demain!
Alors jamais! »
Le mouvement surréaliste était alors sur la pente descendante, « un mouvement romantique sur sa fin » selon Jodorowsky. Les prises de position de ses représentants qui haïssaient le rock’n roll, la science-fiction ou la pornographie (ce qui ne plaisait pas du tout à Jodorowsky!) ont fini par l’enterrer définitivement. Il décide alors de conserver l’essence du surréalisme tout en allant encore plus loin. Il crée donc le mouvement Panique avec - entre autres - Fernando Arrabal, dont une pièce de 1957 inspirera Fando et Lis. Si ce n’était selon lui qu’une plaisanterie à laquelle le monde culturel a cru, les principes du mouvement (la confusion et le désordre, l’artiste doit être à l’intérieur de son oeuvre…) se retrouvent clairement dans Fando et Lis.
Fando et Lis, en tant que première oeuvre et héritière du surréalisme, n’est qu’expérimentations. L’histoire tout d’abord, est tout sauf linéaire. Il s’agirait plutôt d’un immense tableau dont on verrait les détails au fur et à mesure. Cela semble confirmé par les explications de Jodorowsky sur sa façon de travailler: le script tenait sur une page, la pièce d’Arrabal a servi a établir un contexte que Jodorowsky a enrichi d’idées nouvelles au fur et à mesure, pour arriver jusqu’à la fin tragique, différente cependant de la pièce. Le découpage n’est quant à lui pas un choix artistique mais une manière de s’attirer les faveurs du syndicat des courts-métrages.
Le traitement de l’image est surprenant, surtout au vu de l’utilisation future par Jodorowsky des couleurs dans ses films. En effet, on a ici un noir et blanc quasi-saturé qui, a l’image du traitement du son, renforce la rugosité, l’âpreté de certaines scènes. Cela n’empêche pas de grands moments de poésie avec certains plans d’une qualité graphique certaine et qui préfigure le futur travail de Jodorowsky sur l’image, que ce soit dans El Topo ou dans La montagne sacrée. Certains plans sont en effet très travaillés, avec des images que l’on retrouvera plus tard dans d’autres films (notamment Satyricon de Fellini, sorti deux ans plus tard).
Si Jodorowsky use d’un symbolisme opaque pour décrire la quête de ses personnages, il est toutefois possible d’en déceler les grandes lignes. Fando et Lis sont dans une « relation névrotique, sur fond de sadomasochisme et de dépendance » explique le réalisateur. Ils font alors face à une crise existentielle qui les pousse à l’introspection. Celle-ci se manifeste symboliquement par une quête, la recherche de la cité de Tar, qui symbolise en réalité la paix intérieure à laquelle aspirent nos deux jeunes personnages. Le recherche de paix sera en réalité une descente aux enfers.
Dans cette longue chute, alternent les scènes qui font progresser l’intrigue et celles qui dénoncent un monde malade. La première scène décrit notre société dans toute sa superficialité. Nous vivons sur des ruines sans même nous en rendre compte. A l’image du piano en feu, nous nous accrochons à ce monde qui nous détruit mais nous refusons tout changement, dans une sorte de sadomasochisme morbide. Ce monde cynique va atteindre de plein fouet Fando et Lis qui ne sont alors que des enfants. Lis est violée par l’esprit rationnel des adultes tandis que l’on vole son innocence à Fando. Leurs illusions sont détruites et leur innocence perdue. A l’image de ce monde destructeur, Fando et Lis se détruisent l’un l’autre dans leur recherche du bonheur. Fando fait d’ailleurs, comme un enfant avec ses jouets, des expériences sur Lis. Ils ne seront pas sauvés par la religion dont le prêtre-vampire représente la décadence. Dans la boue comme dans un matérialisme destructeur pataugent des êtres sans âmes. Lorsque Fando fait face au père, celui-ci essaie de l’enterrer, car l’ancienne génération ne veut jamais abandonner le pouvoir. On comprend que le sentiment d’amour-haine que Fando entretient avec Lis vient de la mère. Celle-ci a dénoncé le père comme révolutionnaire et Fando n’a pu le sauver. L’issue, à l’image d’une tragédie grecque, est alors inévitable.
Fando et Lis est une oeuvre dont le symbolisme déconcertant et le déroulement narratif plutôt statique peut rebuter plus d’un spectateur. Cela a d’ailleurs contribué en partie au scandale qui a faillit conduire au lynchage de son réalisateur et a sonné la mort festival du film d’Acapulco! Mais Jodorowsky avoue clairement qu’il ne voulait pas faire de concessions pour plaire au public, qu’il s’adresse à qui veut l’écouter, même s’il s’agit d’un tout petit groupe de personnes. Fando et Lis constitue cependant une formidable porte d’entrée dans l’univers complexe d’Alejandro Jodorowsky dont le talent se déploiera plus franchement dans ses deux films suivants, les formidables El Topo et La Montagne Sacrée.