La Mort ne ressemble pas à ce que l'on croit. Et croyez bien qu'elle le regrette. Elle aurait bien aimé, par exemple, prendre l'apparence de celle de Terry Gilliam dans Münchhausen. Au moins celle-la, au-delà de son côté un peu mécanique et théâtral, possède un charisme indéniable.
Au lieu de quoi, madame la mort a pris les traits de Gabriella (cherchez pas, c'est un pseudo), vieille retraitée arthritique et acariâtre, habitant au dix-neuvième étage d'une tour sordide de La Cayolle (quartiers nord de Marseille). Pratique pour passer inaperçue et mener à bien sa longue et interminable tâche consistant à éteindre un à un tous les habitants de cette planète.


Bien sûr, Gabriella s'emmerde la plupart du temps comme un rat qui aurait bénéficié de ses soins, tant son travail est répétitif et fastidieux. La vieillesse et la maladie, litanie routinière sans fin, l'ont depuis longtemps écœuré, et la vieille dame, pourriture sans nom, ne trouve un peu de joie et de plaisir que dans les trépas injustes, les accidents, les guerres et les attentats, les catastrophes et autres épidémies foudroyantes, dont un des nombreux mérites est de réduire la minutie laborieuse de son travail, grâce à son aspect tarif de groupe.


Pendant ses rares pauses (elle sait automatiser, c'te crevure), Gabriella se permet une ou deux fantaisies, pour tenter de tromper son seul ennemi: un vieil ennui éternel. Depuis peu (à l'échelle de son âge, qui n'a d'égal que la nocivité de son âme) elle s'est entichée d'une des distractions favorites de ses victimes: le cinéma. Surtout celui américain des 15 dernières années. La Mort trouve en particulier que la façon juvénile et immature qu'a l'industrie hollywoodienne de nier son existence a quelque chose de touchant. Dans cette puérile tentative, un peu comme des enfants qui se rient de leurs plus profondes et instinctives craintes, les humains se montrent aussi pitoyables que charmants.


Oui, mais là, soudain, devant Fast & Furious 7, Gabriella s'est foutu en rogne. Nier la possibilité de la mort l'amuse, certes, mais il y a quand même des limites. Or, F&F7 n'en respecte aucune. La performance tourne tellement à l'art abstrait, que plus rien n'a de saveur: ni les morceaux de bravoures surréalistes, ni les moments calmes insipides. Sauter en voiture d'immeuble en immeuble, faire une course-poursuite en forêt et en pleine descente de montage, faire exploser la moitié d'une ville sans qu'une goutte de sang ne soit versée a fini par faire bouillir celui, vieux et noir, de la vieille décatie du 19ème. Les personnages de l'histoire ne croient tellement pas à leur propre existence virtuelle qu'un méchant qui n'a qu'à pousser un gentil qui lui tourne le dos, au bord d'un bus éventré qui roule à tombeau ouvert, préfère l'attraper pour le jeter à l'intérieur afin de mieux pouvoir se prendre une branlée. Tellement énervée la Gabriella, que même les traditionnels bouts de dialogues navrants (l'humour plat, la romance éculée, les thèmes flétris) entre deux moments de spectacles numériques, ont ravivé la virulence des furoncles qui se rappellent si douloureusement à elle à chaque fois qu'elle veux s'assoir. L'éternité a ses petites contrariétés.


C'est pourtant pas son genre, la petite vengeance mesquine. Mais ça a été plus fort qu'elle, sur le coup. Elle a voulu rappeler au monde entier que les conneries, c'est bien sympa, mais que les vivants ne devaient jamais oublier qu'à la fin, dans la vraie vie, ce serait toujours elle qui gagne. Elle a donc missionné une Porsche Carrera GT, des pneus non changés depuis 9 ans et un poteau électrique pour rendre limpide son message.


Y a des moments, faut arrêter de déconner.

guyness

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