N’ayant pas encore eu la volonté de m’infliger ce dixième opus, je me contenterai de dresser ici un petit état des lieux de cette saga, tout aussi navrante que surprenante. Comme je suis tenu de coller une note au film pour pouvoir m’exprimer, je lui mettrai cinq par souci d’équité, en attendant de le voir… peut-être… un jour…
En même temps l’avantage des trailers d’aujourd’hui, c’est qu’ils vous racontent tout le film.
Le cinéma d’action semble avoir épuisé tous les styles, abordé toutes les approches, tiré toutes ses cartouches. A l’heure où sort un dixième opus sobrement intitulé Fast and Furious X et où Vin Diesel se paie enfin Khal Drogo dans un nouveau maelstrom d’action surnaturelle défiant toute logique, il est temps de regarder derrière soi et de reconnaître que la saga Fast and Furious a le mérite surprenant d’avoir survécu à la fin de règne des productions Bruckheimer (les années 2000) et aux années Marvel (les années 2010). Elle a même vu passer trois incarnations de Batman et deux incarnations de James Bond, grand spécialiste en matière de pétarade filmique. Seul le grand acteur/producteur/cascadeur Tom Cruise et ses Missions toujours plus impossibles peuvent se targuer d’avoir eu une longévité plus importante dans le panorama du cinéma d’action moderne (le premier film Mission Impossible étant sorti en 1996).
Au début des années 2000, en réaction au mollasson 60 secondes chrono de Cage et Bruchkeimer, le tâcheron Rob Cohen nous gratifiait du premier opus, The Fast and the Furious.
Porté par un duo de stars montantes (Vin Diesel venait d’exploser dans Pitch Black et Paul Walker avait sa belle gueule), ce vulgaire plagiat motorisé de Point Break (remplacez le milieu du surf par celui des bolides bling-bling et vous aurez le même schéma narratif) créa la surprise au box-office et accompagna l’émergence d’une nouvelle génération d’action stars.
En l’absence de Vin Diesel, qui souhaitait alors privilégier Les Chroniques de Riddick et d’autres rôles, la saga s’est cherchée pendant deux opus supplémentaires avant de trouver la recette idéale (retour de Diesel, séquences toujours plus what the fuck, duels de gros bras avec l’arrivée d’autres stars du genre dès le cinquième opus) pour attirer les foules de spectateurs très indulgents, avides de no brainers aussi rudimentaires qu’un Bad Boys de Michael Bay.
Depuis, chaque opus de la saga obéit à la même sacro-sainte règle de la surenchère. Quitte à mettre toujours plus à l’épreuve la suspension d’incrédulité des spectateurs. Toujours plus fous, toujours plus spectaculaires, toujours plus abracadabrantesques, les morceaux de bravoure s’enchainent en s’affranchissant du moindre souci de réalisme, les voitures de Dom et sa bande s’envolant d’immeubles en immeubles, côtoyant les hélicos, les avions cargos, jouant au flipper explosif dans les rues de Rome et coursant même les sous marins nucléaires sur la banquise. Le neuvième film a d’ailleurs atteint des sommets de connerie stratosphérique en projetant deux de ses héros dans l’espace via une voiture transformée en navette spatiale.
Dans le monde testo-enchanté de Baboulinet, la gravité n’est jamais un problème, les collisions à 200 km/h sont des caresses et les stars du muscle ne manquent jamais un moment pour poser, comparant presque leur membre à l’écran et ne s’aplatissant jamais dans un combat entre stars (voir l’anecdote des contrats entre Diesel, Johnson et Statham, où chacune des trois stars avaient apposé une clause pour ne jamais paraître plus faible que les deux autres). Un peu comme leurs ainés des années 80, ils se balancent des punchlines inspirées tout en jouant à qui pisse le plus loin, les bimbos roulent du cul et sourient comme des cruches au départ des courses de bolides, Jason Statham fait bouffer sa savate à l’hyperstéroïdé Dwayne Johnson (pourquoi pas ? Il la fait bien bouffer à un mégalodon…) et Snake Plissken cotise ses derniers points retraite en jouant l’agent secret cynique et fatigué.
Plus « supers » et moins vulnérables que les super-héros de l’autre usine à chips Marvel, les héros de la saga Fast and Furious survivent à tout ce qui tuerait n’importe qui (voir les nombreuses « résurrections surprises » de personnages et les cliffhangers moisis auxquels on ne croit jamais). Ce qui enverrait James Bond en réanimation, eux ils n’en gardent que d’infimes égratignures, roulant deux fois plus des mécaniques que leurs bolides et entretenant à coups de bourre-pifs le mythe du surhomme qui se renifle sous les bras et qui conduit toujours mieux que n’importe quel champion de rallye.
Il semble d’ailleurs que leur influence ait fait des émules dans la réalité au vu des nombreux rodéos urbains qui pullulent un peu partout et dont l’augmentation semble proportionnelle à la longévité de la saga. Un phénomène qui aura d’ailleurs créé la polémique il y a plusieurs mois, des centaines de personnes ayant tenté de bloquer le tournage de ce Fast X pour sensibiliser aux dangers des courses sauvages en milieu peuplé.
Tout n’est pourtant pas si inconséquent dans cet univers « fastueux » tout droit issu de l’imagination de grands adolescents. Car en digne héritier de Schwarzy et Stallone, Diesel y entretient aussi une certaine sagesse, une culture catho du sacré familial et de l’autorité patriarcale, en plus de sa propension à l’exemple de la conduite responsable et de la sensibilisation aux crash tests. La fragilité de la condition humaine rattrapa d’ailleurs un temps le show, lors de la disparition tragique de Paul Walker dans un accident de circulation en 2013 et qui donna lieu à un bel épilogue moralisateur à la fin de Fast and Furious 7, tout autant à la gloire de Diesel qu’à la mémoire de Walker.
Ne regardez donc pas un Fast and Furious en espérant découvrir un film d’action un tant soit peu intelligent et bien foutu comme A toute épreuve, Die Hard ou Fury Road. N’y risquez pas même un coup d’œil si vous ne supportez pas le machisme tape à l’œil et que vous abhorrez la sempiternelle objetisation de la femme en tant qu’enjeu narratif et faire-valoir. Commencez à reculer si vous faîtes une sévère allergie aux séquences délirantes et aux scénarios écrits sous fumette. Faites marche arrière si vous vomissez les antagonistes en carton ou autres vilains cabotins, les méchantes stars de la saga n’étant souvent pas très loin de la rédemption (voir le recyclage positif des Shaw brothers et du bro Jakob). Enfin fuyez si vous craignez d’y trouver des scènes ouvertement pompées sur d’autres productions (voir cette scène du braquage de la voiture blindée par Vin Diesel dans Fast and Furious 8, plagiat d’une excellente scène de la saison 8 de 24 où Jack Bauer braquait à lui seul la voiture blindée de l’ex-président Logan).
Regardez plutôt un Fast and Furious si vous avez envie de vous marrer, ou de vous insurger, devant un bon nanar bourré de thunes, de CGI, d’action épileptique, de stars musculeuses et de punchlines débiles (mention spéciale au « J’t’enfoncerai tes dents si profonds que tu te foutras une brosse à dents dans le cul pour te les brosser » si généreusement déclamé par The Rock dans le huitième épisode).
Le public de chaque époque a le cinéma qu’il mérite et cela fait plus de deux générations maintenant que les spectateurs n’ont droit de la part d’Hollywood qu’à du superhéros en lycra/CGI à toutes les sauces, des remakes inutiles, de la nostalgie 80’s et du Fast food and Furious décérébré. Parce qu’on est demandeur, parce qu’on paye pour en bouffer chaque nouvelle fournée. Un peu comme un « burger du moment » qu’on a toujours la curiosité de goûter même si on se souvient que les derniers étaient tellement garnis qu’ils en étaient écœurants.
Avec les 340 millions de dollars de budget de ce Fast X, il y aura bien sûr à manger (ou à vomir ?) pour tout le monde.
En tout cas, sûr que ça commence à faire cher le nanar...