La Grecque au bois dormant
Très curieux le destin de ce film, complètement méconnu et oublié, et pourtant dernier testament laissé par un réalisateur mythique : Billy Wilder.
Je suis allé le voir complètement par hasard, à l'occasion de sa ressortie, et franchement je vous encourage à aller y jeter un oeil, tant la restauration sublime, et le caractère hybride du film, entre style classique déjà dépassé pour l'époque et nouvel hollywood (avec toute une série de trolls rigolos sur ces réalisateurs barbus qui préfèrent filmer avec une caméra portée), le rend vraiment très intéressant, Et techniquement que ce soit au niveau de la photo (quelles couleurs, certains plans d'eau et de pluie ressemblent à du Kurosawa), de la mise en scène, du montage, du rythme fluide, c'est juste une perfection.
Le film a fait un four monumental à sa sortie, il n'était plus vraiment concevable pour les critiques et les spectateurs, de faire à la fin des 70's des films comme au temps du classique.
Et pourtant c'est très bizarre, c'est comme une suite de "Boulevard du Crépuscule" devenue complètement anachronique, sans âge, sans référentiel, sans repère, sans lien avec aucune époque (classique ou contemporaine), on y retrouve ainsi avec plaisir un William Holden tendrement vieillissant, en scénariste usé sur la piste d'une actrice mythique qui a soudainement disparu "Fedora".
J'ai rarement vu une telle entrée en matière dans un film. Dès la première minute, c'est un tel choc, qu'on n'entendait même pas une mouche voler dans la salle. Une brutalité inouïe, percutante/effrayante/effroyable, et tellement réaliste que ça en glace le sang, avec l'obligation de poursuivre le film jusqu'à son terme, pour voir où cette histoire très bizarre va nous mener.
Grossièrement, le film se divise en deux parties :
Dans la première William Holden recherche donc cette star perdue, isolée sur une île grecque perdue.
On se croirait presque dans du "Apportez-moi Alfredo Garcia", Holden paumé dans un monde exotique et étranger, écume les bars, ainsi qu'un hôtel miteux, dont le gérant est à la fois pingre et hilarant (la touche humoristique de Wilder fait des merveilles, tant elle est inattendue, et ce personnage est fabuleux, car très cartoonesque).
Et puis il y a une atmosphère très étrange, irréelle, magique, presqu'un conte de fées.
Marthe Keller, voix grave, accent prononcé, tenant plus de la lanceuse de marteau germano-croate que de la star glamour déchue, mais pas dénuée de charme, et finalement crédible dans le rôle, est prisonnière de cette île, cernée par des hôtes mystérieux dont les motivations restent obscures. Est-elle consentante ? Est-elle droguée ?
Holden fait des pieds et des mains pour résoudre le mystère, mais rien n'y fait, c'est une impasse constante.
Cette première partie du film est extrêmement prenante.
Et patatras.. Tout mon engouement s'écroule un peu par la suite.. Révéler un mystère c'est toujours assez casse-gueule, et ça peut potentiellement devenir oiseux.
En fait, le problème, c'est que film raconte son histoire via la fameuse méthode des flash backs morcelés, disposés ici et là dans le film, comme dans Citizen Kane, "La Comtesse aux pieds nus", ou encore "les ensorcelés". Certains flash-back sont géniaux car ils permettent de replonger sur les tournages de Fedora au temps de sa gloire, c'est à la fois drôle, original et diablement prenant, avec une mise en abîme hyper bien vue sur le monde du cinéma (et même plus convaincante que dans 'les ensorcelés' de Minnelli), sur la censure des studios (il faut cacher les seins de Fedora baignant dans une baignoire géante avec des nénuphars), sur le star système..
Et puis ça se complique quand il s'agit de désamorcer le mystère sans décevoir. Dans la deuxième partie du film, l'intrigue au présent n'évolue plus du tout!
C'était la force de Citizen Kane par exemple, on plongeait dans le passé pour comprendre quelque chose qui finissait par se révéler au spectateur dans le présent du film! Il y avait un vrai dynamisme dans l'écriture, c'était vivant.
A contrario, on subit un peu le même écueil que "Les Ensorcelés", où le présent n'existe pratiquement plus, et ce ne sont finalement que des personnages qui racontent des histoires.
Et c'est ce qui se passe dans Fedora, Holden finit par trouver les personnages clés du film, et tout se fige. ils lui racontent l'histoire, et c'en est terminé du dynamisme et de la tension. Et pire, l'histoire qui nous est racontée selon différents points de vue est pour le moins vaseuse, assez lourde, et terriblement 1er degré, et donc pas crédible pour un sous (avec notamment Michael York dans un rôle très sympa, mais aux conséquences invraisemblables), et c'est ce qui a dû décontenancer le public et expliquer quelque part le bide du film.
De plus la clé du film est donnée bien trop vite, du coup il n'y a plus de mystère, simplement une série de justifications absurdes pour tenter de rendre plausible un postulat quand même assez grandguignolesque.
C'est un peu le tournant "De Palma" du film (qui a d'ailleurs dû beaucoup s'en inspirer par la suite, jusqu'à reprendre dans un rôle assez similaire l'actrice Frances Sternhagen dans "Raising Cain", ou même dans un de ses ratés comme "femme fatale"), à base de body double, de troubles d'identités, de mise en abîmes constantes sur le cinéma, de jeux sur les maquillages, perruques et costumes (un peu foireux), et ça s'effondre un peu, le décalage manque, limite si on se dit pas "merde, donc ce qu'ils nous racontent c'est vraiment l'histoire ? Mais c'est tout nul!". Frustrant.
Mais le film reste passionnant, superbe, maîtrisé, magique.. Et je ne suis pas prêt d'oublier une apparition aussi inattendue que lumineuse d'Henry Fonda dans son propre rôle, causant un petit frémissement dans la salle, avec quelque chose de très émouvant là-dedans.. Ou la fin des légendes passées...