Sous Billy Wilder, Hollywood se drape dans des atours d’astre mort. Pénétré à larges flots par une mélancolie crépusculaire, indexé au déchirement, l’épicentre du cinéma américain se fend d’une moue aguicheuse, mais repousse toujours plus loin l’horizon des secrets inconnaissables, épiphanies de l’être et tristesses inconsolables. Observateur attentif d’un milieu qu’il se garde de révérer, le héraut du film noir étudie plus avant ce monde clos où les perversions circulent plus vite que l’entendement. Miroir inversé de l’impérissable Boulevard du crépuscule, Fedora se perche aux côtés d’Alfred Hitchcock et Joseph L. Mankiewicz, évidant par rangées de douze les simulacres et faux-semblants d’un star-système gangréné, cristallisé à la faveur d’une cérémonie mortuaire fallacieuse et à travers des murs tapissés de photographies triées sur le volet.


Tirée d’une nouvelle de Thomas Tryon, l’avant-dernière réalisation de Billy Wilder, alors septuagénaire, porte en son sein un regard désabusé, pourfendeur d’une gloire addictive prompte à garrotter toute vedette en voie de déchéance. Existences interchangeables et soif de jeunesse s’y expriment de conserve, servant de levier à un conte machiavélique où les fantasmes d’une mère démissionnaire se projettent sur sa fille fragilisée, sans discontinuer et avec le zèle du dévot. Construit en flashbacks explicatifs, ce mélodrame de facture classique voit l’art et la vie se réinjecter perpétuellement l’un dans l’autre, comme s’ils émanaient d’un imaginaire commun, branché sur un verbe conjugué au cynisme, porté haut par la paire Marthe Keller-Hildegard Knef.


Équilibré par la plume du fidèle I. A. L. Diamond, Fedora se peuple de personnages aussi tourmentés que saugrenus : un producteur sur le retour obsédé par une comédienne retraitée, une ancienne star fermement cramponnée à la célébrité ou encore un chirurgien plastique à l’éthique toute personnelle. Non content de ruer dans les brancards, Billy Wilder se rend maître d’une tension allant crescendo et sonde le vampirisme hollywoodien, tout en prenant acte d’une vague de renouveau symbolisée par quelques « barbus » dont l’art consisterait à « filmer dans la rue avec une petite caméra », allusion à peine voilée aux Steven Spielberg, George Lucas, Terrence Malick ou Brian De Palma. Ainsi, aux flèches empoisonnées vient se greffer un vent de nostalgie que William Holden et Henry Fonda semblent porter tout entier sur leurs épaules voûtées.

Cultural_Mind
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Fragments de cinéma (Tome II)

Créée

le 1 déc. 2017

Critique lue 734 fois

20 j'aime

1 commentaire

Cultural Mind

Écrit par

Critique lue 734 fois

20
1

D'autres avis sur Fedora

Fedora
Docteur_Jivago
9

Un Crépuscule Agité

Avant-dernier film du géant Billy Wilder, à qui l'on doit notamment les remarquables Boulevard du Crépuscule, Certains L'aiment chaud ou encore Le Poison, Fedora se rapproche du premier cité par sa...

le 5 avr. 2014

25 j'aime

5

Fedora
Cultural_Mind
8

Tout n’est que fiction

Sous Billy Wilder, Hollywood se drape dans des atours d’astre mort. Pénétré à larges flots par une mélancolie crépusculaire, indexé au déchirement, l’épicentre du cinéma américain se fend d’une moue...

le 1 déc. 2017

20 j'aime

1

Fedora
-Marc-
9

Le spectacle continue

Presque trente ans après "Boulevard du Crépuscule", Billy Wilder revient à la charge et casse le mythe de l'usine à rêves. Derrière le drame apparent, transparait une comédie pleine de finesse et...

le 12 avr. 2014

14 j'aime

3

Du même critique

Dunkerque
Cultural_Mind
8

War zone

Parmi les nombreux partis pris de Christopher Nolan sujets à débat, il en est un qui se démarque particulièrement : la volonté de montrer, plutôt que de narrer. Non seulement Dunkerque est très peu...

le 25 juil. 2017

68 j'aime

8

Blade Runner
Cultural_Mind
10

« Wake up, time to die »

Les premières images de Blade Runner donnent le ton : au coeur de la nuit, en vue aérienne, elles offrent à découvrir une mégapole titanesque de laquelle s'échappent des colonnes de feu et des...

le 14 mars 2017

62 j'aime

7

Problemos
Cultural_Mind
3

Aux frontières du réel

Une satire ne fonctionne généralement qu'à la condition de s’appuyer sur un fond de vérité, de pénétrer dans les derniers quartiers de la caricature sans jamais l’outrepasser. Elle épaissit les...

le 16 oct. 2017

57 j'aime

9