Parmi les nombreux partis pris de Christopher Nolan sujets à débat, il en est un qui se démarque particulièrement : la volonté de montrer, plutôt que de narrer. Non seulement Dunkerque est très peu dialogué, mais ses personnages évoluent sans background ni aspiration, si ce n'est celle, évidente, de survivre. Le contexte historique tout entier est d'ailleurs survolé autant que peuvent l'être les plages françaises immortalisées çà et là en vues aériennes. La radicalité de la démarche peut légitimement agacer, mais elle n'en demeure pas moins appréciable à une époque où les blockbusters lisses et formatés pullulent désespérément à Hollywood. Surtout, elle permet à Christopher Nolan de chausser des lunettes de documentaliste et de mettre l'accent sur l'immersion, appréhendée selon trois points de vue, dans les airs, sur une jetée et dans la mer. Certains déploreront, peut-être à raison, la difficulté de développer un quelconque sentiment d'identification ou d'empathie envers des personnages maintenus en permanence dans un état de quasi-anonymat. Mais Dunkerque n'est-il pas simplement une tentative de raconter la guerre plus que les soldats qui s'y livrent et y périssent, de sonder la détresse et l'accablement, tant physique que psychique, plus que ceux qui les portent ? C'est une sorte de Salaire de la peur relogé au front, où l'humain serait relégué à l'arrière-plan d'un cadre militaire qui l'écrase toujours plus jour après jour.
Caméra embarquée dans un cockpit, plongée sous l'eau ou lancée dans des courses folles sur les plages de Dunkerque, Christopher Nolan donne à voir un spectacle douloureux mais factuel, superbement photographié par Hoyte van Hoytema (Spectre, Her, Interstellar), mais malheureusement sursignifié de bout en bout par l'utilisation accrue de la musique de Hans Zimmer. À ce sujet, le réalisateur britannique a récemment évoqué sur France Culture la nécessaire « illusion audiophonique » qu'il s'est évertué à créer, matérialisée par des « bruits de montre » ou « de pas », procédé relativement phagocytaire, chargé d'accompagner les montées de tension, comme cela avait déjà été expérimenté en 1997 à l'occasion de son court métrage muet Doodlebug. Ceux qui ont eu vent des anecdotes de tournage savent sans doute déjà tout de l'emploi de vrais navires d'époque, des hordes de centaines de figurants mobilisées par la production du film, des scènes « réelles » tirées des récits de survivants. Ce qu'ils ignorent peut-être en revanche, c'est l'ambition revendiquée par Christopher Nolan de façonner un « rythme nouveau », une sorte de « dynamisme structurel », pour reprendre ses propres mots, qui se mettrait au service de ce qui semble constituer le cœur même de Dunkerque : l'angoisse de mourir, éclatée dans le temps et dans l'espace, rencontrée tant dans le chef d'un pilote de la Royal Air Force héroïque (Tom Hardy) que chez un officier lâche et tourmenté du CEB (Cillian Murphy), ou même parmi les civils britanniques qui viendront courageusement secourir leurs soldats exposés aux feux ennemis. Une reconstitution au cordeau, qui exige du spectateur qu'il se laisse happer, si tant est qu'il puisse faire son deuil d'une narration ici réduite à sa portion congrue.
Critique à lire dans Fragments de cinéma