Alain Gomis est un cinéaste doublement rare : Félicité est ainsi son quatrième film en quinze ans et il propose surtout un cinéma exigeant, poétique et onirique, charnel et sensuel, pourtant ancré dans la réalité d'une africanité si peu abordée dans la production actuelle. Nous sommes cette fois plongés dans Kinshasa – capitale de la République démocratique du Congo – où nous suivons Félicité, chanteuse libre et altière dans un bar. Les premières minutes autour de l'entrée en scène de la chanteuse précédée par celle successive des musiciens a fonction d'une immersion immédiate, d'une osmose simultanée avec cette héroïne dont la vie bascule quelques heures plus tard à l'annonce de l'accident de son fils hospitalisé en attente d'une opération pour sauver sa jambe gravement blessée.


Dans une première partie, nous assistons à la course frénétique de Félicité pour récupérer l'argent demandé par le chirurgien. Elle agit toujours avec détermination et calme, aussi bien auprès de ceux qui lui doivent de l'argent que du puissant auquel elle s'adresse. La seconde partie du film, davantage onirique et de plus en plus mutique, décrit le parcours vers l'apaisement, la reconstruction et la nécessité de retrouver la force qui paraissait l'animer avant.


Caméra à l'épaule, très mobile, le réalisateur alterne avec peut-être un peu trop de systématisation les scènes nocturnes (le bar, les rêves) et diurnes (la quête d'argent, le repos), le bruit et l'agitation d'une ville en décomposition et la sérénité que dégage Félicité. Si elle agit, elle observe aussi de ses grands yeux où se lit un mélange de tristesse, de résignation mais aussi de tendresse et d'amusement devant les manœuvres de séduction du colosse Tabu, tentant par ailleurs de réparer un réfrigérateur récalcitrant.


Félicité est un magnifique personnage de mère courage assez déconcertante par son attitude où colère et conflit ne semblent pas avoir droit de cité. Comme si celle qui faillit perdre la vie enfant en connaissait à la fois le prix et la fragilité, ne valant donc pas la peine de s'embarrasser et d'aller à l'essentiel. À l'image d'une musique électrique et traditionnelle, le film est bigarré, sensuel et envoûtant. Il vaut en tout cas le voyage et la rencontre avec cette Félicité fondamentalement humaine et magistralement interprétée par Véro Tshanda Beya. Un Ours d'argent berlinois amplement mérité.

PatrickBraganti
8
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le 30 mars 2017

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