Où l’on se rend compte à quel point le son fut une révolution essentielle dans le cinéma et principalement donc dans celui d’Ozu. On aimerait tant entendre le bruit de ce robinet qui goutte, de cette porte qui s’ouvre, se ferme, de cette bouilloire quand elle arrive à ébullition, le vent soulevant le linge, les touches de la machine écrire, le tic-tac des horloges. Si régulièrement Ozu s’intéresse à ces « objets » du quotidien en leur offrant le gros plan, c’est aussi bien pour marquer une ellipse que pour tenter de capturer les instantanés de vie, les mœurs japonaises bref une certaine poésie du quotidien. Quoiqu’il en soit, tout Ozu est déjà là, en gestation : les cadres dans le cadre, les champ/contrechamp face caméra, les instants où les personnages se perdent dans leurs pensées et réflexions, les intérieurs aux imposantes profondeurs de champ. Et deux magnifiques rôles de femmes, aux façades joyeuses et superficielles, mais tellement complexes, secrètes et torturées si l’on creuse ces apparences. Ce sont elles qui endossent tout d’ailleurs : le sacrifice de la double vie, le poids de la prostitution pour permettre aux hommes d’étudier, le poids du secret et celui de la rancœur, jusqu’à la responsabilité de la mort de celui dont l’honneur est bafoué quand l’indicible se dévoile. « Tu ne m’auras donc jamais comprise. Espèce de mauviette ! » seront les derniers mots, terribles, de Chikako sur le cadavre de son frère Ryoichi, c’est dire la force de ce personnage et la violence de ce final. Une femme de Tokyo est un mélo somptueux, une merveille de drame intimiste et de pamphlet national, un grand film, déjà, sur l’implosion de la famille japonaise et sur le fragile Japon des années 30.