Dans les années 70, Otto Preminger a déclaré dans une interview qu'il ne se souvenait plus de ce film. Ça veut bien dire ce que ça veut dire : "Daisy Kenyon" n'est pas une oeuvre majeure dans la filmographie du réalisateur. Et c'est vrai que ce n'est pas un grand film. Mais il n'est pas non plus superficiel malgré qu'il s'agisse d'une romance.
Ce qui me fascine, c'est de voir à quel point les comédies romantiques d'aujourd'hui ont sombré dans la légèreté tant au niveau de la forme que du fond. Les production de ce genre ne sont aujourd'hui réalisées qu'avec peu d'amour et à destination d'un public bien ciblé : les adolescentes en mal d'amour (adolescentes tout court). Sans doute est-ce valable pour chaque film de chaque genre et de chaque époque. Mais les romances d'hier me semblent plus intéressantes, car cela parle du couple de façon certainement plus réfléchie. il ne s'agit pas juste de montrer que le coup de foudre c'est quelque chose de cool, non. Ça ne veut pas dire que le fond est moins conservateur, parque Daisy Kenyon l'est assurément dans son discours, ça veut juste dire que cette prise de position, aussi louable qu'une autre, est mieux travaillée, qu'on ne sombre jamais dans la facilité. D'ailleurs, ces films étaient abordés avec un tel sérieux que les réalisateurs n'hésitaient pas à emprunter une esthétique propre au film noir ou plus loin, au film expressionniste. Chose quasi inconcevable aujourd'hui, hélas.
"Daisy Kenyon" est donc une histoire d'amour assez sympathique. Ça manque parfois de mordant, les dialogues sont parfois un peu long et l'action n'évolue que lentement, mais on y trouve de très bons moments, et surtout de très bons dialogues, des répliques pleines d'un cynisme intelligent. Les personnages sont également assez bien construits et les auteurs les exploitent jusqu'au bout de la ligne. Ce qui gêne, en revanche, c'est le fait que les auteurs n'amènent pas beaucoup de surprises tout au long du film : tout ce qui se déroule devant nos yeux semble logique, on a ce à quoi on s'attend.
Otto Preminger amène une ambiance propre au thriller à ce récit plus gris que rose. Joan Crawford l'a dit aussi : si ça n'avait pas été ce réalisateur là derrière la caméra, le film aurait été un désastre. Et c'est vrai que ce qui fait la force du film, c'est la capacité d'Otto à ne jamais sombrer dans le tire-larme facile. Ses personnages sont tous en conflits avec autrui et avec eux-mêmes, le spectateur ne peut jouir de cette situation qu'en gardant une certaine distance. Les acteurs délivrent également une très bonne prestation.
Bref, "Daisy Kenyon" est peut-être mineur dans la filmographie du cinéaste, ça n'en est pas moins un film intelligent ; un peu plus de peps n'aurait pourtant pas été du luxe.