Le film commence par du silence, rien que du silence. En quelques plans nous comprenons que le protagoniste est photographe, qu'il a probablement eu un accident dans le cadre professionnel, qu'il est handicapé temporaire, qu'il a chaud, qu'il s'emmerde ferme...et qu'une femme n'est pas loin. Si j'avais un seul reproche à faire à ce film, ce serait l'entretien téléphonique entre Stewart et son patron. Un coup de fil un peu inutile, j'avais déjà compris la situation initiale.
Stewart s'emmerde donc. Alors, pour passer le temps, il se met à observer ses voisins. Et très rapidement, il est convaincu qu'un de ces derniers a buté sa femme. La suite lui donnera raison (oui, ben désolée de tout balancer, mais merde, c'est un film que tout le monde doit avoir vu au moins une fois dans sa vie !).
J'ai regardé Fenêtre sur cour de nombreuses fois. J'y ai vu tour à tour une intrigue policière bien ficelée (le film est adapté d'une nouvelle de William Irish) et une "apologie" du voyeurisme (mais, il faut bien être un peu voyeur si l'on aime le cinéma, ne serait-ce que pour regarder un film). Mais cette fois-ci, c'est l'histoire d'amour qui m'a surtout touchée. Grace est amoureuse. Amoureuse au point de se mettre en danger pour montrer à celui qu'elle aime qu'elle est digne de son intérêt. Amoureuse au point d'aller salir ses jolies robes en mousseline pour prouver qu'elle n'est pas superficielle. Amoureuse au point de souhaiter la mort d'autrui. Et Dieu qu'elle est belle, Dieu qu'elle est sensuelle, Grace amoureuse : elle rayonne.
J'ai aimé aussi la poésie et la douceur qui se dégageaient des portraits de ceux qui "entourent" Stewart, les voisins. Hitchcock était une vraie peau de vache avec ses acteurs. Je crois que lors d'un de ses tournages, je ne sais plus pour quel film, ceux-ci s'étaient accrochés des pancartes autour du cou, où il était écrit COW. Pourtant, il a l'air d'éprouver de la tendresse pour eux dans ce film. Cœur Solitaire est poignante, elle me fait penser à certaines œuvres d'Edward Hopper. Je songe en particulier à Automat, lorsqu'elle s'aventure seule dans le bar qui est en face de chez elle. Et puis, alors qu'elle est chez elle à noyer son chagrin dans l'alcool, à Morning sun ou Eleven AM. Le "plaidoyer" de la voisine dont on a empoisonné le chien aurait pu être ridicule ailleurs, mais là, il est à fendre le cœur : "vous l'avez tué parce qu'il était trop gentil" crie-t-elle entre deux sanglots à ses voisins...indifférents. Là encore, je pense à Hopper : des gens "cloisonnés", devant leur fenêtre, parfois leur porte, mais incapables d'en franchir le seuil.
Hitchcock a extrait la substantifique moelle d'une courte nouvelle que j'aime beaucoup, pour en faire une merveille dans un écrin.