Rear Window, une des très grandes pellicules d'Alfred Hitchcok, personnellement ma préférée, où le maître du suspens parvient dans une maestria de mise en scène à faire du spectateur un voyeur fouineur aussi impudique et impertinent que James Stewart.
Il faut dire que vissé à sa chaise roulante, la patte folle et l'ennui profond, il n'a que ça à faire, James Stewart. Regarder le théâtre de son voisinage. Et si se rincer l’œil sur la danseuse de ballet le contente, si s'apitoyer sur lonelyheart le distrait, si les mélodies du compositeur l'occupent, si les dormeurs du balcon l'amusent, qu'en est-il de cet énergumène bonhomme constamment houspillé par sa femme alitée brusquement disparue ? Tueur, pas tueur ? Faites confiance à Hitchcock pour distiller savamment le suspens !
Mais l'essentiel est ailleurs. Car à la seizième minute, une ombre se dessine sur un James Stewart assoupi. Grace Kelly apparaît. Son visage adorable occupe tout l'écran, ses lèvres rouges, ce regard pénétré d'amour, ce baiser déposé... "How's your leg ?" "And your stomach ?" "And your love life ?". Et Grace Kelly allume les lumières, d'un sourire quasi espiègle se présente à celui auprès duquel elle soupire... Qu'elle est belle ! Mais qu'elle est belle ! Ce passage, je peux le revoir cent fois sans jamais le gâter, l'affadir, l'écorner. A chaque visionnage de Rear Window, Grace Kelly devient la seule, l'unique, l'apparition fatale, l'élégance, la délicatesse, éperdument amoureuse d'un James qui doute encore. Pour lui elle osera tout, fera de son obsession la sienne, ira là où il ne peut pas aller, lui prouvera qu'elle est digne de lui, alors qu'elle le vaut cent fois.
On n'en verra plus une femme comme ça. Son temps est révolu. Cette incarnation de la classe lovée dans une beauté pudique et éclatante à la fois projeté sur grand écran, c'est terminé.
Ainsi, au delà du scénario diablement efficace, de la mise en scène magistrale dans ce vase clos d'arrière cour, de la patte Hitchcock au pinacle avec ses jeux d'ombres et ses cadrages, de cette mise en abîme du voyeurisme où le spectateur est tout autant obnubilé que les protagonistes, il y a Grace Kelly. Grace Kelly qui illumine ce film, le transcende, lui donne une texture de rêve.