Le film de guerre se fait plus rarement du point de vue du vaincu. Et quand il l’est par le cinéma japonais avec le radicalisme qu’on peut lui connaitre, autant dire que le résultat va être éprouvant.
Avec Nobi, Kon Ichikawa plonge dans les extrémités les plus sordides de la défaite. Nous sommes en 1945 sur le front des Philippines, et les japonais tentent de joindre le point de ralliement qui leur permettra l’extraction. Mais la route est longue, et les américains barrent l’unique point d’entrée. Le point de départ, qui consiste à renvoyer un soldat refusé par l’hôpital en lui donnant instruction de se tuer s’il est refoulé à nouveau, donne le ton : pas de quête, mais une impasse : « On m’a ordonné de mourir. J’en ai bien l’intention. Alors pourquoi courir ? » confesse le protagoniste.
Le récit s’attarde sur le dénuement le plus total : plus d’armes, d’instructions, d’autorité, de nourriture. Les hommes manquent de tout, et deviennent une procession de zombies qui, machinalement, se jettent au sol au passage d’un avion, avant de s’extraire de la boue pour reprendre leur marche.
En résulte un film brutal et doté de cette dimension sensitive qu’on retrouve ailleurs dans le cinéma nippon, d’Onibaba à La Femme des Sables : les corps, le rapport à l’hostilité de la nature à travers la boue, la chaleur ou l’humidité. La souffrance physique et le désarroi virent pratiquement à l’abstraction, dans des tableaux horrifiques (le charnier dans l’église) ou des scènes de violence comme les bombardements qui ne semblent même plus s’inscrire dans une stratégie.
Cette logique de la longue marche des vaincus (dont on retrouvera les principes dans le dernier volet de la trilogie La Condition de l’homme de Kobayashi) ne fait pas dans la demi-mesure. Souligné par une musique un peu poussive, il n’abandonne jamais son idée de pousser les individus dans leurs ultimes retranchements, abordant in fine la question du cannibalisme comme dernier rempart avant la fin de toute humanité. On ne va évidemment pas reprocher au film de faire dans l’anti-héroïsme et de montrer comment la guerre aliène les individus, mais cette gradation continue vers l’horreur est aussi éprouvante qu’un brin irritante dans son désir de surenchère.
Ichikawa appuie là où ça fait mal, et le fait longuement, presque sans aucune possibilité de salut. Car à l’épreuve imposée à l’agonisant (manger un de ses semblables ou non) dont il sort vainqueur ne répond en retour que la brutalité du réel en situation de conflit. Qu’importe, finalement, puisque les balles ennemies l’attendent ? Le protagoniste ayant pu affirmer une valeur faisant encore de lui un être humain se présente au camp adverse pour se rendre : il a ainsi regagné une forme de confiance par cet unique élan humaniste en lui. C’est oublier que l’américain face à lui n’en fera absolument pas cas. Il sera abattu comme un chien, retournant à cette terre indifférente. (fin)
Démonstration implacable et étouffante : dans l’enfer de la guerre, l’héroïsme n’a droit de cité que pour les légendes. Nobi s’impose ainsi comme un fragment brut de réel.