Etonnant de se dire que le réalisateur de deux des plus grands films japonais anti guerre n'ait jamais réellement connu la guerre, de façon frontale, en tant qu'expérience. C'est d'ailleurs peut etre pour cela que ICHIKAWA Kon prefere généralement parler de l'acte de guerre en ellipse plutot qu'en image. Dejà dans La Harpe de Birmanie, la guerre n'etait qu'une toile de fond. Ici encore, dans Les feux dans la plaine, la guerre est decontextualisée pour aller vers un discours plus général et universel sur la deshumanisation.

Decontextualisation. Une chose est sure dans Les feux dans la plaine, nous sommes en Asie dans un pays où le Japon est en guerre. Et si ca n'etait quelques rares indices comme ces deux villageois, rien ne laisserait présager d'une localisation certaine du drame. Mais est ce important ? ICHIKAWA efface minutieusement les reperes géographiques et meme temporels (dans une fourchette, ceci dit, réduite). Les paysages sont vidés de substance et de vie. Les quelques rares personnages les traversant sont aussi filmés comme perdus dans un gigantisme, une infime trace de vie dans des décors apocalyptique, presque infernaux.

Car on ne sait jamais réellement si les personnages sont morts et marchent dans un enfer de solitude et de perte de reperes, ou si ils sont justes presque pas morts dans un paysage qui l'est. La solution la plus envisageable est considerer les quelques personnages comme morts, humainement morts tout du moins. Car si le corps avance, l'ame est absente. On retrouve un peu de Platon pour qui l'ame est le premier moteur du corps. Les humains qui étaient partis à la guerre ne sont plus que des coquilles vidées de sentiments. Seul l'instinct de survie animal est préservé, vestige animal d'humains ravagés par les horreurs, la fatigue, la peur, la faim. Poussés à l'extreme, les hommes ont lachés prises, pour fuir la pression. Ils errent maintenant sans but autre que survivre au jour le jour. Les quelques humains-animaux que Tamura va croiser se construisent néanmoins un simulacre d'humanisation, vain. Tamura, quant à lui, voit son parcours se méler insidieusement à une lente deshumanisation, qu'il sait implacable mais qu'il tente desesperement de combattre. Son regard de surprise et de peur sourde lorsqu'il assiste impuissant à la déchéance de ses camarades soldats marque durablement les esprits. Tout comme l'impact de la scene finale. Délivrance.

ICHIKAWA impose toutefois une distanciation qui sera jugée salvatrice ou dommageable, par d'habiles secondes d'humour (discret et fin), et par une contemplation plutot qu'une action. Les feux dans la plaine n'est pas aussi poignants que la Trilogie de la Condition de l'homme (le troisieme volet en particulier) qui traite de façon beaucoup plus dure le sujet de la perte d'humanité en terrain de guerre. Mais en l'état le film d'ICHIKAWA est quand meme un monument de pessimisme.
nihoneiga
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le 3 févr. 2012

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