Je découvre Lina Wertmüller avec ce très beau film ! Un film parfois un peu maladroit, mais tellement sincère ! Et qui porte si bien son nom...
Parce que oui, c'est un film qui traite de politique et d'amour. Dans un film où Giancarlo Giannini, que j'apprécie beaucoup, est au sommet de son art. Ce paysan, pas forcément convaincu par la cause anarchiste, mais qui décide d'entrer dans le mouvement par vengeance, c'est fascinant. Ce n'est pas une simple vengeance comme les autres ; en désirant tuer Mussolini, il ne venge pas que son ami qui a été brutalement assassiné. Il venge toute l'obscénité d'un régime politique abject. Mais en même temps, sa vengeance est aussi un acte de cruauté. Un acte terroriste ; en somme, peut-on justifier le terrorisme ? Dans le fond, toutes ces thématiques, ça me rappelle beaucoup Les Justes de Camus, une pièce elle aussi fascinante et de toute beauté, et que je cite souvent quand je veut non pas tolérer, mais excuser, comprendre le terrorisme. On a souvent tendance à relativiser quand nous sommes d'accord idéologiquement avec l'acte, mais nous avons aussi souvent tendance à le condamner totalement quand l'idéologie nous est lointaine. Non pas que ce film fasse l'apologie du terrorisme, aucunement, mais il essaie de le comprendre, de comprendre comment un homme peut arriver à avoir en lui une telle haine, et comment le seul combat qu'il puisse mener, notamment dans la dictature mussolinienne, soit un combat de violence. Après, on est tous d'accord, tuer un homme, ce n'est pas tuer des centaines d'hommes innocents. Encore que... Staline verrait la chose autrement, avec l'adage que nous connaissons tous : "La mort d'un homme est une tragédie, la mort d'un millions d'hommes, une statistique."
Bref, Lina Wertmüller nous amène à réfléchir sur ce mécanisme. Après tout, le terroriste agit souvent à l'aune d'une idéologie en laquelle il croit (ou dans laquelle il croit qu'il croit), et donc agit souvent en croyant être juste. C'est pour cela qu'on ne peut pas forcément qualifier le terroriste comme un être méchant, ou mauvais. Nuisible, certainement, mais on ne peut pas dire qu'il représente le Mal... Les notions de Bien et Mal sont des véritables mirages, ce ne sont que des lieux d'interprétation comme ne cesse de le rappeler Nietzsche. Ca n'existe pas. Et dans ce film non plus ; s'il y a une haine fasciste, il n'y a pas une diabolisation outrancière du fascisme. Il y a surtout ce que ressent un homme face à un régime qu'il ne supporte pas et qui ne tolère pas le dialogue social. Un homme qui devient jusqu'au-boutiste, et qui pourtant a si peur. Un homme qui a aussi besoin de reconnaissance, qui a besoin d'exister, et parfois, c'est la mort qui fait exister. En témoigne le nombre important d'icônes en ce monde qui sont morts prématurément. Au-delà de ses idées, qui sont bien sur dotées d'une incroyable postérité, qu'est-ce qui rend Martin Luther King aussi iconique ? Son assassinat. Giancarlo Giannini a aussi besoin d'exister, et dans un monde réduit à la violence, il ne trouve que la violence pour aussi y répondre.
Mais dans sa quête politique, il s'aperçoit qu'il y a autre chose qui peut permettre d'exister, et même plus, de vivre, de vivre sa vie pour paraphraser Godard ! Et cette chose, c'est l'amour-passion. Le film ne propose pas une vision unilatérale ; au contraire, Giancarlo Giannini se met à douter de sa soi-disante conviction politique... Après tout, lui qui n'est pas directement concerné (sauf si on adopte le point de vue que TOUT citoyen doit être concerné par la vie de la cité, comme dans le modèle athénien, ce qui peut être tout-à-fait compréhensible... mais qui est citoyen en dictature ?), pourquoi devrait-il se mêler de tout cela ? Ne serait-ce pas justement cet acte terroriste, l'acte égoïste par excellence ? Ou l'acte égoïste serait celui de vivre pleinement son histoire d'amour, laissant de côté la politique, et faisant le choix de l'apolitisme (qui est par ailleurs un choix politique).
C'est un film très relativiste au fond, peut-être un peu trop parfois, parce qu'après tout, le relativisme poussé à l'extrême, la déflation du vrai, ce n'est qu'une impasse, et c'est souvent ce qu'on a reproché (et parfois à tort) à la philosophie de Nietzsche. Mais il y a cette fin, ces 20 dernières minutes absolument fabuleuses... C'est en l'empêchant d'être libre de ses choix (lorsque la femme qu'il aime l'empêche d'être à l'heure au lieu de rendez-vous lui permettant d'abattre Mussolini), d'être maître de ses actes, que Giannini devient finalement convaincu. C'est à ce moment là qu'il se dit que c'est ni la conviction politique, ni l'amour qui fait vivre, mais bien la liberté... ou un peu des trois certainement. A partir de là, on assiste à une fin éblouissante ; l'acte terroriste n'est pas celui que l'on pensait, il est beaucoup plus minime que d'assassiner Mussolini, mais c'est tout de même une victoire pour Giannini. Il l'a fait cette fois-ci par choix et non par vengeance. Il devient véritablement anarchiste. Et que c'est beau.
C'est un film qui brille surtout pour son fond, bien que la réalisation soit très juste... on oublie la caméra, c'est-à-dire que tout se fait naturellement, et j'aime beaucoup cela, même si ce n'est pas forcément virtuose, et que ce n'est parfois pas totalement cinématographique. C'est un film à vivre c'est sur, mais on ne peut pas dissocier le film du fond. Car c'est un film qui parle, qui raconte quelque chose. Ce n'est pas forcément une expérience esthétique ; c'est une expérience philosophique. Et une expérience convaincante, car jamais elle ne vire dans le dogmatisme, ni le scepticisme exacerbé. Génial !