L’hôpital. Un lieu qui sauve et qui répare, souvent. Mais un lieu, aussi, qui doit parfois outrepasser la douleur du malade pour prodiguer ses soins. Lorsque c’est un enfant qui fait l’objet de tels traitements, il peut vivre ceux-ci comme une torture, et le médecin, non comme un soignant, un allié, mais comme un bourreau, un ennemi.
Rémi Gendarme-Cerquetti, atteint depuis sa naissance d’amyotrophie spinale infantile, la redoutable A. S. I.,
décide, une fois adulte, de se retourner vers, et parfois presque contre ses années d’enfance et de soins, à l’Hôpital Raymond Poincaré de Garches, spécialisé, depuis son ouverture en 1928, dans le traitement des handicaps physiques lourds. Pour ce faire, rivé au fauteuil qui maintient aussi sa tête et qui est comme un prolongement indispensable de son corps, il revient vers tous les témoins et les partenaires de ces années rythmées par les retours réguliers dans ce lieu sans lequel il était condamné à très court terme et qui lui a, malgré tout, comme donné naissance une seconde fois, au point qu’il puisse s’en revendiquer le « fils »…
Ce premier documentaire, également co-écrit avec Morgane Wszelaki, et pour lequel le réalisateur et co-scénariste est parfois secondé, à l’image, par Emanuel Rojas, se tourne d’abord vers les figures parentales. Ses propres parents, mais aussi les parents d’autres enfants pareillement atteints d’A. S. I., traités à Garches, et à présent devenus également adultes. Se dit la douleur affrontée par les parents, leur désarroi, leurs luttes avec leur enfant, avec les médecins ; enfin leur soulagement et leur acceptation, aussi du fait qu’une voie viable s’est enfin trouvée. On mesure leur émotion, face à la rediffusion de l’un des premiers Téléthon, auquel tel ou tel enfant participait, sous l’œil commercialement ému de Michel Drucker, Michel Sardou ou Alain Delon.
Les échanges avec les anciens patients de Garches sont plus nourris, variés, se tournant aussi bien vers le ressenti commun de l’hôpital que vers la découverte de la scolarité en collège, une fois qu’une relative autonomie est enfin acquise et permet l’intégration. Une intégration parfois vécue avec bonheur, dans la découverte de la camaraderie et des rires, d’autres fois renvoyant plus crûment et cruellement à l’irréductible différence, lorsque l’amour, s’en mêlant, faisait se dresser des limites, des refus…
Le retour sur les lieux mêmes de l’Hôpital de Garches est impressionnant et permet des retrouvailles fécondes avec d’anciens soignants : un prothésiste exposant sa propre confrontation au handicap et son dépassement par le soin, un chirurgien décrivant la délicate étape de l’opération, au cours de laquelle un risque de mort est inévitablement côtoyé de près par le malade. On a d’ailleurs le sentiment que, plus encore que le retour sur sa propre intervention chirurgicale, Rémi Gendarme-Cerquetti attendait de cet entretien qu’il lui explique enfin les raisons de la mort d’une jeune camarade, dont le cœur n’a pas supporté l’opération, et qui s’est éteinte, sous anesthésie, à treize ans. Le film lui est dédié, en clôture du générique final.
Ces retrouvailles avec l’espace de l’hôpital permettent que surgissent les appareillages d’allure médiévale qui sont chargés de redresser les jeunes enfants. Tout un arsenal de courroies, sangles, poulies, carcans, corsets, chaînes, crochets, ayant pour mission d’étirer, de détordre, de rectifier les petits corps déformés. Mission orthopédique par excellence, dans sa dimension de bricolage, de forçage d’une matière récalcitrante.
Face à cette rencontre avec la brutalité concrète de la maladie, le réalisateur a l’astucieuse idée d’opposer la formidable puissance de transformation, de transposition, qui est celle de l’art. On a ainsi la surprise de voir surgir à l’image le violoncelliste David Chiesa, dont la musique retentissait déjà, mais que l’on imaginait extradiégétique. Or non. Depuis les endroits les plus saugrenus - un toit, un escalier de secours dont il utilise également la structure métallique, un terrain de sport, le déambulatoire d’un cloître… -, le musicien tire de son instrument des sons aussi distordus que les pauvres petits corps des malades, aussi inattendus, aussi singuliers, imprévisibles. Et de cet inouï naît une beauté.
De même que dans l’ultime séquence, lorsqu’une plasticienne recouvre de bandelettes de plâtre l’un des corps les plus abîmés, les plus atrophiés que l’on a pu voir dans le documentaire. Ses gestes précis, la caresse attentionnée avec laquelle elle contraint le plâtre à épouser le relief de la peau, l’œil attentif, comme aux aguets, mais la bouche abandonnée, confiante, du patient volontaire sauvent la scène de la visée orthopédique et normative d’un geste thérapeutique et lui permettent d’accéder à une sensualité troublante.
Belle proclamation de vie, faisant la nique aux maux les plus invalidants.