Deux femmes
Ayant délaissé pour un temps mes amours au pays du soleil levant, j'ai renoué hier soir, le temps d'un rendez-vous de 2 heures, avec Ozu, quitté lors du beau et triste Voyage à Tokyo. Après le noir...
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le 13 févr. 2012
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Y. Ozu décortique la famille, traitant bien souvent de l'arrêt d'une relation, que ce soit par le deuil ou la séparation forcée, mais toujours comme un simple moment à passer, emprunt de nostalgie, tout aussi rapide qu'inéluctable en suivant les fluctuations de la condition humaine dans une société aux codes tenaces, en déclinant au fil de ses métrage les mêmes intrigues, et les mêmes acteurs.On retrouve ici une déclinaison franche de Printemps tardif. voire d'Eté Précoce.
Fin d'automne, reprend la relation mono-parentale, soumise à diverses envolées verbales, toujours sobre, de regards et de gestes, dans un Japon pris entre traditions et modernité de l'après-guerre. L'actrice S.Hara, muse du cinéaste sera désormais une femme veuve et mère d'une jeune fille-prête-à-marier, et sera en même temps l'élément perturbateur d'un trio d'amis de son défunt mari, tout autant rigides qu'en prise avec leurs désirs refoulés, qui s'immiscent dans les affaires privées en l'absence des principales intéressées. Remarier la mère pour que la fille puisse l'être à son tour, les deux ne voulant que le bonheur de l'autre, la séparation semble difficile à envisager entre le mariage arrangé pour Ayako et la solitude à venir pour Akiko.
Tout concoure à l'enfermement et joue des fractures. Les pièces de vies comme ressource et comme lieu de solitude. L'émancipation par le travail de bureau vient se heurter à une société japonaise ancrée dans le patriarcat, où le bureau devient le lieu d'intrigues, mais où l'on se croise dans les couloirs vides et sans âme, et où la nécessité du mariage, vient se heurter aux jeunes femmes en quête d'amour. Les vêtements traditionnels pour les aînées et les tailleurs pour les plus jeunes, l'occidentalisation aidera à une sorte de rébellion polie pour ces jeunes femmes qui ne s'en laisseront pas compter. Le personnage de l'amie de Ayako est le révélateur des changements à venir, sorte d'électron libre, parlant sans détour, ramenant les hommes à leur condition, lors d'une rencontre explosive et tout autant manipulatrice, rassure et à l'inverse tout le poids des conventions se retrouve dans une scène marquante d'un mari rentrant chez lui après sa journée de bureau, qui jettera ses affaires par terre et que son épouse dévouée ramassera, marque par sa violente symbolique entre patron et employé, et mari et femme.
Y.Ozu marque alors tout du long, une nature humaine bien peu encline au changement, par son trio plutôt détestable et l'humour a du mal à se frayer un chemin. Les stratégies ne reflètent qu'égoïsme, fantasmes et désamour familial, rencontres alcoolisées et considérations grivoises ou insultantes, et où la femme ne semble devoir son bonheur qu'à la bonne volonté des hommes à les marier pour leur propre usage...
La culture japonaise démontre bien souvent une dictature marquée envers les femmes, encore aujourd'hui, même si les hommes subissent eux-mêmes leurs propres diktats. Avec Ozu, il est parfois délicat de savoir où la ligne penche, malgré son parti pris évident sur l'émancipation, voire son féminisme, il en ressort parfois des portraits d'hommes dont on ne sait si c'est du lard ou du cochon.
Fin d'automne est moins enjoué et bien loin de l'humour décalé et des chemins de traverses qu'emprunte le patriarche de Dernier Caprice pour ses délires et autres basses ruses à se sortir de sa condition, où chaque scène recelait son bijou d'inventivité. Savoir parler de choses qui fâchent avec ironie. Parait-il que Fin d'automne est plein de cet humour délicat que le cinéaste sait insuffler à ses œuvres. Pourtant si son film décline encore avec justesse les relations familiales qui se clôtureront avec Le goût du saké en 1962, il existe un sentiment de flottement, partagé entre déprime sévère et quelques envolées plus réjouissantes mais l'art et la manière du cinéaste d'osciller entre drame et légèreté, n'atteint pas les sommets d'Eté précoce et la force du lien familial, de Printemps tardif.
Le sourire figé de T.Hara tel un masque immuable, ne semble être exacerbé que pour mieux révéler le choc du final, d'ailleurs particulièrement réussi dans tout ce qu'il concentre d'émotion sur la condition à venir de cette femme, qui aura fait le choix de la liberté. La simplicité des lieux renforce ce sentiment d'extrême solitude où tout est à sa place. Un seul plan, une seule position suffisent. On se rappellera du coup, son excellente interprétation dans Printemps tardif, où ses expressions sensibles et jeux du regard suffisaient à rendre l'émotion lors des échanges passionnés avec son père, les dialogues incisifs et souvent percutants, qui semblent s'être étiolés dans Fin d'automne.
Accepter de suivre le cours de son existence, Akiko appréciera les derniers voyages effectués avec sa fille, les rares sorties au restaurant et semble se satisfaire de sa situation. Vivre sa vie telle qu'elle est, voilà bien un message à la fois bénéfique et tout autant évident.
Cet état des choses sera constamment renforcé par les mêmes rencontres dans les mêmes lieux au fil des jours et semble démontrer toute la fatuité d'actions des uns venant secouer la tranquillité des autres.
Tout l'art du cadrage du réalisateur est intact. Plans fixes ou profondeur de champs mettant en valeur l'espace et autres menus détails, s'intégrant parfaitement dans ses portraits, pour nous parler du temps qui passe et de la délicate dernière ligne droite.
Et on aura aussi le plaisir de revoir tous les acteurs du cinéaste, Yōko Tsukasa, Keiji Sada, Mariko Okada et bien sûr Chishū Ryū, Kuniko Miyake, plutôt en seconds rôles mais partie intégrante de cette intrigue aux renversements de situation bien moins jubilatoires que les deux précédents.
A voir certainement, et à revoir pour ma part.
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le 1 juin 2020
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