La Papouasie-Nouvelle-Guinée était un terrain d'expérimentations ethnographiques et aventurières vraisemblablement sans équivalent au cours du XXe siècle, comme semblent l'illustrer d'autres documentaires antérieurs qui s'apparentent à First Contact, à l'image de Le Ciel et la Boue de Pierre-Dominique Gaisseau (1961) ou Dead Birds de Robert Gardner (1963). Premier volet d'une trilogie papoue réalisée par le couple Bob Connolly et Robin Anderson, il raconte la rencontre littéralement incroyable et fracassante entre deux cultures, deux sociétés, deux groupes sociaux totalement opposés. On n'est pas si loin de la rencontre entre "civilisés" et "primitifs" au cœur de Cannibal Tours de Dennis O'Rourke, sous les mêmes latitudes, en 1988.
Des chercheurs d'or australiens parcouraient les territoires jusqu'alors inexplorés de Nouvelle-Guinée au début du siècle précédent à la recherche du précieux métal. On considérait à l'époque que les régions situées au-delà de massifs montagneux escarpés étaient dépourvus d'êtres humains, car jugés inaccessibles et inhospitalières. Grossière erreur, dont la famille Leahy mesura l'étendue lorsqu'elle mena une expédition pour défricher ces terres ignorées : elles contenaient en réalité une population inconnue du reste du monde, les Papous du centre de la Nouvelle-Guinée. Une population estimée alors aux alentours du million de personnes tout de même.
Je crois qu'il est difficile de faire plus extraordinaire et radical en matière d'expérience de l'altérité... Des occidentaux sillonnant les territoires afin d'extraire des matières premières, se retrouvant nez à nez avec des tribus qui n'avaient jamais eu le moindre contact avec la "civilisation". Et qui ne connaissaient que l'eau douce, n'ayant jamais eu l'occasion d'accéder au rivage de l'île immense — le récit d'un Papou emmené par avion dans une ville est à ce titre édifiant, notamment lorsqu'il découvre que l'eau de mer est salée et qu'il veut en ramener des bouteilles avec lui. Le fait que les frères Leahy avaient avec eux une caméra et un appareil photo répond à un certain fantasme personnel en permettant d'accéder aux images de cette rencontre et de filmer les réactions de ce peuple découvrant l'homme blanc — qu'il prend dans un premier temps pour des esprits lessivés par le soleil et revenant du monde des morts. Assez rapidement toutefois, ils réaliseront le caractère tout à fait humain et commun des nouveaux arrivants, en assistant à une défécation ou en réalisant que leur ceinture ne leur servait pas à enrouler leurs hypothétiques sexes immenses.
Le documentaire présente ces images forcément très évocatrices, merveilleuses, renversantes, et pas uniquement dans la dimension illustrative d'une rencontre féerique : l'homme blanc, colonisateur en puissance où qu'il mette les pieds, ne tardera pas à exploiter les Papous dans le processus semi-industriel d'orpaillage (en les soudoyant à l'aide de coquillages et de tissus) et à lui montrer sa supériorité (un gros coup de fusil dans la tête d'un pauvre animal, rien de tel pour maintenir une distance de sécurité entre trois pauvres occidentaux paumés au milieu de la jungle et des centaines d'autochtones). Le docu propose également des témoignages très intéressants datant de la sortie du film, incluant des membres de la famille Leahy, des enfants papous présents au moment de la rencontre, mais aussi des femmes qui étaient transformées en valeur marchande (des faveurs sexuelles contre des cadeaux grosso modo, qui donneront naissance à une génération de métis — l'objet des prochains films : Les Voisins de Joe Leahy et Black Harvest, bafouilles à venir). Le capitalisme est en marche, et de ne demande qu'à être observé ici.
Certains anciens orpailleurs sont d'ailleurs parfaitement sincères et disent sans détour qu'ils n'étaient pas venus pour la beauté de la connaissance ethnographique ou pour la vertu de la rencontre mais bien pour le seul profit des gisements aurifères. Il se dégage peu à peu les contours d'une asymétrie et d'une violence monumentales, au détour de ce face à face rendu intelligible grâce à ces archives d'une valeur inestimable.
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