Après nous avoir fait vibrer en narrant le parcours d'un batteur souhaitant envers et contre tout aller jusqu'au bout de sa passion, après nous avoir enchanté avec son revival en force de la comédie musicale, Damien Chazelle revient, et il persiste et signe pour prouver qu'il est un réalisateur qui en a définitivement sous le capot. En sorte de suite logique, après nous avoir mis des étoiles plein les yeux, il décide de nous embarquer dans ce grand exploit humain qu'est la course à la Lune, menée par Neil Armstrong.


Notez en effet qu'on parle là d'exploit humain, et non 100% américain. C'est la victoire de l'homme qui a choisi de prendre à bras le corps le dépassement de soi. Dès le début, on sent que Chazelle privilégie ce point de vue humain, et il le fera pour chaque séquence impliquant les envolées dans les airs. La caméra s'installe quasi constamment au plus près de l'astronaute mis à l'épreuve, les rares plans extérieurs resteront à l'échelle de la machine. Un film comme Gravity joue d'une vision plus large pour faire ressortir la beauté de ses décors, First Man opte de son côté pour une approche plus réduite et pourtant diablement efficace.


La caméra se promène dans le cockpit mais nous montre rarement ce qu'il se passe à l'extérieur, préférant jouer avec notre propre idée de l'altitude de la machine. Elle nous secoue en même temps que les astronautes et nous rappelle que les vols sont loin d'être une partie de plaisir. Avec le point de vue interne du cockpit, elle nous montre de nombreux éléments qui ont leur rôle à jouer dans le bon fonctionnement de la machine et à quel point le risque d'une certaine fragilité peut être là. Le côté immersif des séquences spatiales est total. La seule séquence qui s'autorisera des plans plus larges à l'échelle est la dernière séquence du parcours jusqu'à la Lune, symbole de la réussite d'un grand exploit, d'une victoire humaine.


Le point de vue humain est non seulement présent dans le jeu des échelles mais aussi dans celui de la psychologie des personnages. Ce n'est pas l'histoire d'un héros américain, pour ainsi dire ce n'est même pas l'histoire d'un héros tout court à proprement parler. C'est un véritable drame humain, c'est l'histoire de Neil, un homme en deuil de sa toute jeune fille, et qui se mettra en tête de décrocher littéralement la Lune pour elle. Voire même d'une certaine façon l'accompagner avec lui jusqu'à cet objectif. Or, Neil est constamment mis à l'épreuve et il est conscient, tout comme le spectateur, du danger que représente la mission. Ses proches tombent autour de lui, il est devenu selon les mots de sa femme en quelque sorte un spécialiste du deuil. Tous les jours, le danger et les risques potentiels dans la mise en place d'une telle mission lui reviennent à la figure. Mais il ne flanchera pas. Quelle que soit la situation, quand bien même ça lui demande de quitter sa famille un temps, conscient que ça pourrait être d'ailleurs la dernière fois qu'il les verra, il ne se découragera pas, il se dépassera.


Damien Chazelle n'en oublie pas de glisser le contexte houleux de ce projet démesuré et nous rappelle que tout n'était pas rose dans sa mise en place, entre les nombreuses pertes humaines donc, la rivalité avec l'Union Soviétique ou bien la manifestation d'une partie du peuple quant au gaspillage d'argent que représente cet alunissage. En somme, Neil n'est pas le seul à avoir décidé de ne pas renoncer à cette quête. Mais tout ça pour quoi au final, pourquoi vouloir à ce point atteindre la Lune ? Pour prouver une quelconque supériorité ? Pour braver les frontières de l'impossible ? Neil représente une autre raison comme il l'explique dans son entretien. La stratosphère nous paraît infinie quand nous avons les pieds sur Terre, mais qu'en est-il d'un autre point de vue ? Qu'on le veuille ou non, en tant qu'humains, il y a des choses qui nous dépassent. Damien Chazelle met constamment l'immensité spatiale en avant, sur le plan de la compréhension humaine ou en montrant ce qu'elle représente vraiment, une immensité majoritairement inconnue de nous tous, attirante quand on lève les yeux au ciel, mais aussi effrayante.


Le réalisateur de La La Land nous offre en point d'orgue une séquence sur le parcours jusqu'à la Lune aussi longue que puissante. Dans la logique de ses autres séquences spatiales, le point de vue reste réduit à celui des trois astronautes. La scène ne sera brisée par aucune séquence offrant un point de vue venant de notre planète, la seule chose que nous ayons étant le contact des astronautes par le biais de leur radio. L'arrivée sur la Lune se fera en fanfare sous la musique d'un Justin Hurwitz en forme, également capable comme son collègue réalisateur de jongler entre l'intimiste et le spectaculaire. La caméra ne se focalise pas sur la plantée du drapeau américain, mais sur l'empreinte de pied que laisse Neil. C'est un bon de géant pour l'humanité, après tout. Le retour salutaire de Neil sur Terre, après quelques minutes d'une poésie visuelle sidérante sur la Lune, nous permettra de quitter le film sur une scène forte et riche de sens. "There's no place like home", pourrait-on se dire. En tout cas, la force entre le couple Armstrong telle qu'elle est retranscrite est d'une intensité non négligeable. Ce voyage aura été au final bénéfique pour surmonter le mur invisible s'étant dressé entre Janet et Neil.


Tel Neil Armstrong lorsqu'il est ressorti de son expédition lunaire, la sortie de First Man a de quoi ne pas laisser indifférent le spectateur. Entre le vertige de l'immensité de l'espace et la dureté d'un quotidien intimiste nourri régulièrement par le motif de la perte, qu'elle soit temporaire ou permanente, le nouveau bijou de Damien Chazelle réussit sur tous les tableaux, soutenu par des acteurs talentueux et une narration des plus solides, qui peut être aussi minimaliste et poétique que puissante et majestueuse. A présent, Neil Armstrong nous a quitté pour un nouvel infini inconnu de l'homme.


This is Major Tom to Ground Control...

Nick_Cortex

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