Spoilers
Chez Chazelle, les personnages sont des rêveurs dont la réalité vient brutalement refréner leurs ambitions personnelles. Andrew Neimann (Whiplash) souhaitait devenir une légende du jazz, et Mia Dolan (La La Land), une légende d'Hollywood. Le premier, dans une scène finale dantesque, y parviendra totalement, tandis que la deuxième se rendra compte qu'y parvenir totalement est une contradiction, la réalité ne pouvant rattraper le rêve qui garde toujours une longueur d'avance. Qu'en est-il de Neil Armstrong, le prochain rêveur aux ambitions démesurées du jeune réalisateur franco-américain ?
Il est vrai qu'aller sur la Lune a tout du rêve inatteignable, et proposant une certaine absurdité propre aux ambitions artistiques (on repensera à la famille d'Andrew qui perçoit comme absurde de vouloir devenir le meilleur dans un domaine qu'ils considèrent comme purement subjectif). Mais Chazelle, avec son premier film de commande, complexifie légèrement son propos. Car si les ambitions de Andrew et Mia ne faisaient pas l'objet de justification (ces personnes naissent et meurent avec leur obstination artistique), ici le voyage d'Armstrong n'est pas une fin en soi pour l'astronaute : il s'agit d'abord de faire son deuil.
La mort est omniprésente dans First Man. Elle plane évidemment sur le héros, et ce dès la première scène. Mais c'est bien le rapport que Neil peut entretenir avec la mort des autres qui intéresse Chazelle. "C'est à ce moment qu'on est devenu bon aux enterrements" dira sa femme. La rationalisation constante de tout ce qui entoure le héros est cohérente avec le voyage entrepris : il s'agit avant tout pour Neil de rationaliser la mort, ici représentée par la Lune, pour y échapper afin d'atténuer la douleur inhérente au deuil.
Ainsi, le mouvement ascendant de la fusée s'opposera à celui descendant du cercueil, et le rapport à l'enfance est primordial, ces enfants ne semblant absolument pas préoccupés par la fin de leur vie ou de celle des autres.
Difficile lors de la valse des vaisseaux de ne pas penser à 2001 : L'Odyssée de l'Espace. Cette citation nous rappelle le propos commun aux deux films : le chef d'oeuvre de Kubrick nous demandait de chérir notre peur de la mort, First Man a un propos similaire. Une idée a priori absurde, mais à plusieurs reprises, la déstabilisation et l'inversement est considéré comme salvateur. De la manière la plus simple (se rendre compte que "Egelloc" n'est que "College" à l'envers occasionne une rire général), comme la plus virulente (le dysfonctionnement du vaisseau dans lequel se trouve Armstrong lui imposant un mouvement circulaire et détruisant dans le même temps tout repère permettra à la NASA d'avancer grandement sur le projet). Cette idée sera la plus frappante lorsque la femme d'Armstrong explique s'être mariée avec lui par souci de stabilité, ce à quoi on lui répondra que la stabilité est très ennuyeuse.
Ces inversions de valeurs nous permettent de conclure que, contrairement à ce que l'on pourrait penser au premier abord, rationaliser la mort ne permettra pas à Armstrong de se défaire de sa peine. Mais la regarder dans les yeux et abandonner les personnes qui l'ont suivie dans le sombre trou abyssal lui permettra de réaliser le fait qu'on ne comprend pas la mort : on la vit.
Car la mort est finalement la meilleure des déstabilisations, et la peur qu'on en a une inspiration sans fin. Elle permettra à l'Homme d'entreprendre son plus grand voyage. Face à ce nouvel apprentissage, Neil abandonnera ses ambitions de rationalisation qui l'ont éloignées de sa famille, pour tendre la main vers sa femme, préférant désormais le geste aux mots. Et peu importe s'il est impossible de la toucher, l'important sera d'essayer. Car après tout, nous avons bien essayé d'aller sur la Lune.