Il est toujours pertinent de se demander comment va se traiter un biopic, mais la question est encore plus intéressante lorsque l'on s'intéresse à la conquête spatiale. Avec cet objet d'étude, ce qui intrigue c'est le spectacle que procure la découverte de l'inconnu, l'homme face au néant, face à ses peurs et à sa petitesse. Le public demande et redemande de cette histoire parce qu'elle fascine toujours et encore; et c'est bien pour cela qu'on retient le nom de Cheminade, non pas pour son programme de gaulliste social, mais bien pour son projet de conquête spatiale.
De grands films sur la conquête spatiale, exit les fictifs 2001, Interstellar ou encore Gravity, le cinéma en a déjà produit; L'étoffe des héros traitait de manière historique les tenants et les aboutissants de cette conquête et s'inscrivait comme un néo-péplum ou une grande fresque historique monumentale où on se passionnait pour des hommes au destin extraordinaire; une dizaine d'années plus tard, Apollo 13 exploitera le filon de manière plus spectaculaire, héroïsant les astronautes et montrant la nostalgie déjà installée d'une période révolue où la grandeur d'une nation était exaltée.
Désormais, First Man allait mettre en scène un homme dans l'espace. Là où Apollo 13 et L'étoffe des héros montraient toujours au minimum un équipage, le cinéma allait changer d'échelle pour passer à celle d'un seul homme. S'il s'agit du portrait d'un homme, ne faisons pas le quiproquo de croire que c'est un film individualiste; jamais il n'est fait mention de la réussite solitaire de Neil Armstrong, bien au contraire. La démarche est cependant de comprendre l'homme derrière l'image de sur-homme qui fut construite.
Neil Armstrong est un Mr. Smith sorti d'un film de Frank Capra; rien ne le prédestine à être astronaute. Pilote d'avion, il aspire à vivre de grandes sensations, comme en témoigne la brillante scène d'ouverture, où Armstrong effleure l'espace. Il mène cependant une vie familiale à la Thoreau, dans une maisonnette en bois, juché sur le flanc d'une montagne au milieu d'une forêt de pin. Avec ses deux enfants, Neil n'est rien d'autre qu'un citoyen ordinaire. Ordinaire, il l'est également par les épreuves que son destin lui inflige; Armstrong perd sa fille de deux ans d'âge, rongée par une tumeur. Connu comme étant un acteur inexpressif, Ryan Gosling se fond parfaitement en Neil Armstrong. C'est un homme simple qui n'a pas besoin d'extravagances.De là, on retrouve la dimension philo-humaniste de la conquête spatiale; l'espace n'est qu'un catalyseur pour mieux appréhender son prochain. S'éloigner aide paradoxalement à se rapprocher. Sur Terre, c'est une communauté d'astronautes qui se forme, et qui se supporte entre eux. Ce sont également ces hommes contre le reste du monde, contre l'Amérique en mutation, contre la guerre froide. Eux ne sont que des hommes ordinaires, seule atteindre leur objectif compte.
Comme pour ces deux films précédents, et s'inscrivant de plus en plus comme l'un des plus grands réalisateurs de la décennie, Damien Chazelle propose une dimension immersive à sa mise en scène. Le réalisateur de La la land nous propose de prendre la place des astronautes pour mieux les comprendre; la claustrophobie qui s'empare du spectateur lorsque Armstrong prend place dans le cockpit, la peur lorsque leur vaisseau est pris dans un effet de roulis, et mieux encore le stress lorsque vient le moment d'alunir. Lorsque l'on va voir First Man, tout le monde a en tête cet alunissage, et chacun sait que ce moment sera le moment fatidique du film. Il n'y pas de suspens sur les événements; la seule inconnue est la dimension humaine: comment, eux, ont-ils vécu cet alunissage ? C'est Armstrong fonçant tête baissée vers la Lune; pour lui, il y est déjà depuis le décès de sa fille. Il est absent pour sa femme et ses enfants, il leur parle peu et fait fi de prévenir ses enfants des risques éventuels d'un ratage, tout en espérant que, sans communication, sa famille le comprenne. Armstrong descendant du module lunaire, c'est un homme en apnée qui veut ralentir le moment du premier pas, et qui prend conscience qu'il approche de son but ultime. Marcher sur la Lune a pour lui un pouvoir cathartique; aller au bout de son rêve est plus fort que tout.
Avec First Man, Damien Chazelle signe un biopic haletant, passionnant sur la vie d'un homme ordinaire à la mission extraordinaire. Une grande immersion et catharsis de la part d'un réalisateur talentueux entouré d'acteurs et de techniciens talentueux.