"Un premier amour, c'est tellement fort".
Un homme sur le bord de la Loire, cigare à la bouche. A s'y méprendre, on le confondrait avec Gary Cooper. Et puis la caméra le laisse filer à l'horizon au rythme du deuxième mouvement de la septième symphonie de Beethoven. Le film semble déjà fini. Énigmatique première séquence, résonnant comme cette même symphonie de Beethoven, que le compositeur avait laissé anonyme, contrairement à ces autres symphonies. Comment interpréter cette première rencontre avec le film ? Chronique d'une victoire ou celle d'une tragédie annoncée?
Roland, un jeune intellectuel en pleine crise existentielle et en mal d'aventures, boit au troquet du coin comme à son habitude. Sans le savoir, il a croisé la route de ce Gary Cooper nantais. Sans (encore) le savoir, il la recroisera.
Lola, une danseuse de cabaret, élève seul son fils de sept ans. Elle passe son temps avec Frankie, jeune marin américain stationné à Nantes. Pourtant, elle n'attend que le retour de Michel, le père de son enfant, parti avant la naissance du petit.
Lola, Roland, Frankie, Michel, leurs routes ne feront que s'entrecroiser en l'espace de 24 heures. Lola et Roland se retrouveront, voilà dix ans qu'ils ne s'étaient pas vus, depuis leurs études terminées. Roland croisera la route de Cécile, jeune adolescente à la recherche du premier amour et qui rappellera terriblement Lola à Roland. Cécile se trouvera en Frankie, qui lui profite de ces derniers instants à Nantes.
L'amour dicte la conduite de ces personnages. La recherche du premier amour, le seul authentique à leurs yeux. Un amour de rêve, quasi-utopique, auquel on croit tellement fort qu'il ne peut se terminer qu'en tragédie. Lola ne fait que lui courir après depuis sept ans. Son amant d'un temps, Frankie a lui aussi une femme au pays. Roland avait aimé Lola, il n'a pas oublié. Il en retombera amoureux. Cécile, elle, aime Frankie, un amour interdit, jalousé par sa mère. 24 heures, le temps d'une tragédie grecque. Le soleil ne semblera pas se coucher cette nuit-là à Nantes. Tous se quitteront à l'issue de cette journée.
L'amour du prochain, intéressé, ne compte pas aux yeux de ces protagonistes. Frankie et Lola ne vivaient que de l'amour du prochain, dans lequel Lola ne vient que combler sa propre misère, la perte de Michel. Tous croient en l'amour du lointain, un amour de conquête, celui qui fait attendre parfois sept ans pour savoir que l'on aime réellement. Celui qui fait espérer Roland que Lola puisse un jour l'aimer. Le même qui porte Cécile à croire en la liberté que lui inspire Frankie, cet américain poule aux œufs d'or. Le rêve vient cependant se briser face à la réalité ; Frankie doit partir, Michel est revenu. C'était lui le Gary Cooper qui flânait sur le bord de Loire, conquérant quasi-américain de retour de sa quête d'amour. Le temps donc pour Roland et Cécile de vivre l'amour lointain, l'un en s'exilant en Afrique du Sud, l'autre en fuguant chez son oncle. Rien n'est tout blanc ou tout noir, le rêve se concrétise pour Lola et Michel. L'amour lointain a porté ses fruits, l'amour du prochain s'est brisé sur les digues du port de Nantes.
Premier film de Jacques Demy, Lola est tragiquement beau. L'expression d'un rêve insaisissable, celui du songe d'un jour d'été, où l'amour a semblé si accessible mais en même temps si impossible. Beauté aussi de ces interprètes, d'une Anouk Aimée bouleversante, d'un Marc Michel attachant. (Re)Voir Lola, c'est plonger dans des souvenirs déjà empreint de nostalgies, même si irréels qu'ils peuvent factuellement l'être. En une heure trente, Jacques Demy nous fait devenir nantais ; on devient si proche de ces personnages. A quiconque s'abandonne à Lola, risque-t-il d'y voir sa vie vécue par procuration.