Les sectateurs de La La Land (et de Whiplash) dont je fais partie ont pu être surpris lorsqu’ils ont appris que le nouveau film de Damien Chazelle serait un biopic de commande sur Neil Armstrong, période 1960 – 1969, autrement dit a priori un vulgaire film à Oscar.
Mais il fallait garder espoir, car Damien Chazelle n’est pas, selon l’expression consacrée « un des cinéastes parmi les plus importants de sa génération » - génération qui ne comporte d’ailleurs pas grand-monde – pour rien.
Alors, c’est quoi Damien Chazelle ? Quoi de commun entre l’enchantement mélancolique de La La Land et la sobriété lunaire de First man ?
Le point commun le plus immédiat, c’est son interprète masculin, alors tirons le fil Ryan Gosling.
Si le jeu de l’acteur ne change pas entre La La Land et First Man (visage mystérieusement fermé, regard pas tout à fait présent, peu loquace), c’est moins parce qu’il ne sait jouer que de cette manière, comme des spectateurs mesquins le font remarquer, que parce qu’un lien unit tous les personnages de Damien Chazelle.
Une critique a dit du réalisateur qu’ « il est un peu le Macron du cinéma américain » (1) : il serait le cinéaste de l’éloge du travail, de la réussite grâce au travail. L’expression est amusante, l’image est cocasse, l’effet rhétorique est réussi, mais non, ce n’est pas de cela dont il s’agit.
Ce qui relie les trois héros masculins de Whiplash, La La Land et First Man, c’est un rapport particulier au réel de la part du passionné, qu’il soit aspirant artiste ou pilote d’essai : ils sont certes en bonne compagnie mais fondamentalement seuls avec l’objet de leur passion ; ils ne sont jamais vraiment là, jamais vraiment heureux ou malheureux, ils ne vivent que lorsqu’ils se livrent à ce pour quoi leur vie semble être faite. Emma Stone chantait cela très bien dans La La Land : "And here's to the fools who dream Crazy as they may seem Here's to the hearts that break Here's to the mess we make".
En cela, Damien Chazelle a le sens de la séquence et de l’image finale fortes : c’était évident dans Whiplash et plus encore dans La La Land. Dans First man,
la séquence lunaire est époustouflante, mais l’image finale, où Neil retrouve sa femme, a une force plus contenue. Neil a accompli sa mission, et il a également accompli sa vie, il peut maintenant tenter de renouer avec le réel.
A part Gosling, il y aurait bien sûr beaucoup à dire, mais rien à redire, tant Damien Chazelle maîtrise son cinéma. Certes, l’exercice est plus ingrat dans First man que dans Whiplash ou La La Land qui suscitent un enthousiasme immédiat, mais le réalisateur fait ce qu’il a à faire, en respectant son matériau : montrer l’histoire d’une conquête spatiale du point de vue d’un homme, humain avant d’être un héros de l’Amérique.
Dans un même geste, le film mythifie et démythifie cette conquête spatiale. Il rappelle à quel point l’exploit technologique est incroyable [merde quoi ! ils vont sur la LUNE, alors qu’ils ne maîtrisent l'aviation que depuis une grosse cinquantaine d’années !], et d’autant plus incroyable que futile (cf. Kennedy qui explique qu’il s’agit d’aller sur la Lune pour la beauté du geste – bien sûr les enjeux de soft power sont grands dans ce moment de la Guerre froide)
Mais on sait gré au film d’également démythifier cet épisode historique : le film a le bon goût de ne pas donner envie de participer à cette conquête. La durée de vie d’un astronaute est affreusement limitée, cette conquête est une boucherie. Les enfants (dont je fis aussi partie) ne savent pas ce qu'ils disent lorsqu’ils prétendent vouloir être astronautes : n’est pas « a fool who dreams » qui veut.
(1) [https://www.franceculture.fr/emissions/la-dispute/cinema-le-proces-contre-mandela-et-les-autres-house-jack-built-first-man-et-six-portraits-xl][1]