Réaliser un film aussi maîtrisé sur la perte de contrôle (technique et humaine) m'a toujours fasciné, et à ce titre, Damien Chazelle signe une nouvelle fois, avec First Man, une oeuvre intéressante à bien des niveaux. Vu le sujet, à savoir la fameuse mission sur la Lune de Neil Amstrong, j'avais pourtant beaucoup à craindre du résultat. Mais dès les premières images, d'une tension assez impressionnante, on a affaire à quelque chose qui tranche avec le traitement hollywoodien auquel on nous a tellement habitué lorsqu'il s'agit de la conquête spatiale des américains, devenue davantage une preuve de la supériorité ricaine par rapport aux russes, qu'une aventure à part entière. Ici, le mot d'ordre est de rester près des personnages ou du cockpit, ce qui est assez étonnant, car finalement on a peu de plans spectaculaires (moneyshots). Non, le traitement est à la limite du documentaire, du coup on prend bien plus la mesure du risque et du danger où la moindre petite erreur peut signifier la fin du trip. Du coup, donner autant d'espace au deuil, aux échecs, et à la mort prend tout son sens. Mais vient aussi se mettre en balance la difficulté de Neil à communiquer avec les siens du drame qui l'habite.
Ainsi, Chazelle ressort sa thématique (le fil rouge de sa courte mais parfaitement cohérente de son oeuvre) de l'obsession de la réussite et les coûts humains qui en résultent. Alors certes, cela donne un résultat étrangement assez froid et légèrement désincarné, mais cela m'a pas gêné outre-mesure (surtout à la lumière de la superbe scène finale), à l'exception peut-être de la dispute avant le départ de l'astronaute dont la résolution m'a semblé un poil exagérée, comme si Chazelle voulait souligner de manière un peu trop évidente son propos. Et il faut aussi reconnaître que cela permet d'éviter le pathos à outrance, surtout que ça enchaîne pas mal en ce sens. Enfin, sans se départir du point de vue essentiel de Neil, le film parvient brillamment à dresser un contexte qui devient tout de suite intéressant grâce au biais humain choisi, comme si on grattait le vernis derrière les enjeux politiques énormes qui se dessinent en arrière-plan. Le fameux «un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité» prend du coup une toute autre dimension, et ça fait tout simplement plaisir un film qui prend à contre-pied ce que l'on pourrait attendre d'un tel sujet. Alors pour moi, ce n'est pas aussi ultime que les deux précédents essais de Chazelle, car justement ça ne m'a pas emporté plus que ça, mais c'est typiquement le genre de traitement, tout en retenue et en pudeur, qui pourrait gagner en bouteille avec du temps et de la maturité.